Le samedi 27 octobre 2007


En brassant le couscous
Pierre Foglia, La Presse

Je dis que j'ai neuf chats, mais c'est huit. Momo est parti si vite que je le compte encore. C'est arrivé un samedi, je partais rouler avec des amis, Momo sortait du garage, hey Momo tu viens avec nous? Il avait l'air comme d'habitude, d'un retraité qui fait le tour de son jardin.

S'il n'avait pas été un chat, Momo aurait travaillé à La Baie au rayon des électroménagers. Il aurait sûrement fumé la pipe aussi. Quand je suis rentré, il y avait un mot de ma fiancée sur le comptoir de la cuisine: je suis chez le vet, Momo. Quand elle a appelé un peu plus tard, elle pleurait. Pas moi. J'ai pleuré Picotte, c'est le mort d'avant, pas Momo. Momo, je suis jaloux de sa thrombose, je veux mourir de cette maladie-là qui ne dure même pas un après-midi. Le matin t'es bien, le soir t'es mort.

J'ai donc huit chats. Deux immigrés et six «de souche», ces six-là tout autant immigrés que les deux autres, mais disons qu'ils pissent partout depuis un peu plus longtemps pour marquer un territoire qu'ils ont fini par s'approprier. Sont chez eux, bon. Bienvenue à Minouville.

Les six de souche sont composés d'une handicapée, deux gériatriques, et de Lola, porte-parole d'un groupe un peu hystérique, le B'nai Cat qui s'exaspère de tout ce qui n'est pas catchère. S'cusez.

Complétant cette population indigène, un petit couple très pot-au-feu dont il y a peu à dire sinon qu'il s'ennuie un peu dans cette maison sans sous-sol fini. Il s'ennuierait aussi dans un bungalow, mais il n'y aurait pas cette immensité des prairies qui leur donne le vertige. Minette et Ramon, le couple en question, sont de bons minous qui aiment le lait, le foie, les rognons et n'abusent pas du catnip. Ils aiment que la maison soit en ordre. S'ils avaient eu des enfants, ils eussent été moyens. Bref, des chats. Comme on dirait, bref des gens. Les idéologies font naufrage, les utopies s'étouffent, le consumérisme infantilise la planète, Ramon et Minette continuent d'aller à leurs petites affaires sans s'émouvoir, raisonnables, bien élevés, partisans d'une immigration à la Montignac: n'importe qui mais pas trop. Je n'aurais jamais pensé chroniquer un jour sur Ramon et Minette.

J'ai dit: deux immigrés. Les six «de souche» ont plutôt bien supporté l'arrivée de Sophie. Faut dire qu'elle est jolie et pas vraiment là, très chatte, très space à la manière des jeunes femmes d'aujourd'hui. Et puis il y a eu cet accident qui lui a mis la gueule un peu croche, imaginez Monica Bellucci avec un nez de boxeur. Vous refuseriez l'entrée au Canada de la Bellucci, même avec un nez de boxeur?

C'est l'arrivée de Tonton qui a été de trop. Tonton est un réfugié de la grande rafle des ratons de l'été dernier. Deux fois les agents de la faune l'ont pogné dans leur cage, sont venus se renseigner:
«C'est à vous?
- Non.
- Qu'est-ce qu'on en fait?
- Ce que vous voulez.»

À ce qu'ils nous ont dit par la suite, ils l'ont relâché dans les vignes de Paradis à cinq kilomètres de chez nous. Le lendemain matin il était à notre porte, il avait faim, il était tout crotté, un peu tunisien, il nous a fait accroire qu'il avait échappé à mille périls en chemin et que si on le renvoyait, les coyotes n'en feraient qu'une bouchée. Donne-lui du lait, m'a dit ma fiancée. Et quand il a eu fini de se lécher les babines: C'était bon, Tonton? Tonton! Elle venait de lui donner un nom. Aussi bien dire les clefs de la maison.

Dès le début, Tonton en a mené large. L'air de quelqu'un qui avait des droits, mieux, une protection. Il s'est mis à chicaner autour des plats. À exiger de Bardeau qu'il lui lave le front. Et l'autre soir il a sauté dans le panier où dort Minette, qu'on appelle d'ailleurs le panier de Minette. Minette s'est réveillée en sursaut, lui a crissé une claque en lui crachant: T'es même pas chez vous! C'est pas ton panier. Les autres minous ont approuvé. Même ma fiancée était d'accord. Elle a grondé Tonton.

J'ai dit que tous les minous étaient d'accord? Sauf Lola. Comme mentionné plus haut, Lola fait partie de cette curieuse organisation appelée B'nai Cat, curieuse parce qu'elle ne défend pas les intérêts des chats mais des castors. Pourquoi Tonton n'aurait-il pas le droit d'avoir son panier, il vit ici comme Minette, a susurré Lola.

En fait, Lola n'a rien à foutre de Minette ni de Tonton. Elle dit cela juste pour attiser la chicane et foutre un peu plus le bordel entre les autres chats. Comme je viens de le dire, la B'nai Cat est vouée à la défense exclusive des castors. Le grand regret de la B'nai Cat, c'est qu'un chat soit un chat, pas un castor.

Mais revenons à la chicane centrale. Pour accommoder Tonton, on a libéré une alvéole de la bibliothèque, on lui a mis une serviette. Le tollé, madame! Se sont mis à babouner. Bardeau, pourtant un bon minou, s'est mis à faire son petit Zidane, dès que Tonton approche pour se faire laver le casque, tiens, toé, un coup de boule. Sophie, qui revient de l'étang les pattes toutes boueuses, va se les essuyer sur la serviette de Tonton. Zézette, elle, a carrément pissé dessus.

C'est pas tout à fait un conte que je vous fais là. Lola, bon, j'exagère, le B'Nai Cat n'existe pas. Mais le rejet de Tonton par ma gang de morrons à moustaches, le babounage de Minette et de Ramon, le bizutage de Bardeau, je n'invente rien. L'irascibilité soudaine de Lili non plus. Et ce matin, j'ai pogné Zézette en train de pisser sur la serviette pour la seconde fois.

J'ai toujours défendu que les bêtes, les chats en particulier, sont loin d'être cons comme les gens. Je dois quand même reconnaître qu'il y a des moments ils s'approchent.