Le mardi 6 novembre 2007


L'humain et les émotions qui touchent
Pierre Foglia, La Presse

Je choisis mes blockbusters au hasard, pourvu que le titre ne soit pas trop débile. Je n'en attends rien de particulier, je fais parfois des découvertes, mais le plus souvent c'est ce que je vous dis: rien de particulier.

Je ne vous donne pas les titres des deux blockbusters que j'ai loués ce week-end, parce que vous allez me dire: ah oui! j'ai vu celui-là, c'est pas mal ou c'est nul, et ce n'est pas du tout par là que veut aller cette chronique. Je veux parler de création, d'imagination, d'assouvissement, d'émancipation, d'écriture, de culture, de vous et moi, tout ça en même temps. Vous savez comme je peux être brouillon parfois? Et lapidaire? Ce sera une chronique comme ça.

Le premier film commence en Inde, à Bombay, dans un orphelinat où travaille un Danois, on comprend qu'il est l'âme de cet orphelinat et que là, tout de suite, même s'il n'en a pas envie, il doit se rendre au Danemark pour rencontrer un mécène, et ça presse parce que l'orphelinat est à bout de ressources. On le voit qui prend l'avion, qui arrive à Copenhague où il est reçu dans un hôtel très luxueux qui appartient au mécène milliardaire. Ils se rencontrent brièvement, le mécène lui dit: écoutez, je n'ai pas vraiment le temps de décider maintenant pour votre orphelinat, je marie ma fille en fin de semaine, venez donc au mariage, on reparlera de tout ça lundi.

Ce sont les 10 ou 15 premières minutes du film. Beau flash. L'humanitaire va se frotter au fric durant tout le week-end, il n'y a plus qu'à laisser aller sans trop appuyer et il arriva bien quelque chose, ne serait-ce qu'un bon petit film.

L'action du second film commence à Marseille; une madame docteur ausculte un vieux monsieur; en fait, c'est son père, papa ton coeur va flancher, faut t'opérer. Mon cul, répond le père, je suis trop vieux pour me faire charcuter. Et sans rien dire à personne, il s'en va en Arménie d'où il est venu quand il était petit. Sa fille part à sa recherche, elle arrive à Erevan, capitale de l'Arménie, se lie avec un vieux chauffeur de taxi qui lui fait visiter la ville.

Autre beau flash, il suffisait de continuer en évitant le folklore, les poncifs, de laisser vivre cette ville que personne ne connaît; la madame docteur retrouverait ou pas son père, on s'en crisse, ce qu'on voulait c'était Erevan et l'Arménie.

Ma question: pourquoi les cinéastes, les scénaristes, les producteurs deviennent-ils cons au bout de 15 minutes?

Ou est-ce nous? Nous le public qui exigeons qu'on nous raconte encore et encore et encore et encore et encore et encore, Le pont sur la rivière Kwai, Pretty Woman, Docteur Jivago et Un homme et une femme? Est-ce nous qui réclamons encore et encore une putain d'histoire avant de faire dodo?

Vous l'avez deviné, mes deux blockbusters vont dégénérer. Dans le premier, la fille du mécène - la mariée - s'adonne, ô rocambolesque pirouette, à être la fille de l'humanitaire qui ne savait pas qu'il avait eu un enfant. Papa! Mon enfant! Dans le second film, la madame docteur qui cherche son père se met à tirer partout pour sauver sa manucure qui faisait le trafic de médicaments (je vous jure). Tiens, toé, une balle dans le genou.

Mon autre question: pourquoi nous prennent-ils pour des débiles?

Ne venez pas me dire que je n'ai qu'à aller louer mes films à la Boîte Noire. Je vous répète que ce n'est pas une chronique sur le cinéma. C'est une chronique sur la culture populaire qui est la panade de tout le monde.

Mais ma vraie question: pourquoi on avance sur à peu près tous les fronts, les techniques (en particulier celles du cinéma), les sciences, la médecine, la sociologie, l'humanitaire, l'équité, l'écologie, même la démocratie et pourquoi, dans le même temps, DANS LE MÊME TEMPS, la culture populaire recule ou plutôt baisse, ou plutôt s'abaisse, s'enlise, s'envase dans le non-être de personnages insignifiants, dans le vide qui n'est jamais celui des acrobates qui prennent des risques, mais le vide d'une littérature de sous-préfecture, dans le vide du ciel mon mari, ciel mon enfant, et touche pas à ma manucure, pan! pan! Et vroum-vroum, bien sûr.

Pourquoi ces très mauvais films, ces très mauvais romans, ces très mauvaises chansons? Ne me dites pas que ce n'est pas pire qu'avant, je vous demande pourquoi ce n'est pas mieux qu'avant; pourquoi, par exemple, l'extraordinaire développement des sciences de cognition (d'acquisition de la connaissance), linguistique, cybernétique, informatique, psycho-sociologie, théorie de l'information, donnent des résultats aussi désastreux en éducation, forment des analphabètes incapables d'une simple abstraction, de cinq minutes d'attention, incapables de supporter deux grammes de contenu?

Ce n'est pas le bonheur qui est dans le pré et qui fait meuh! C'est nous.

L'HUMAIN Rien à voir avec ce qui précède, mais quand même un petit peu. M. Michel Roy, père de Patrick Roy, vient d'écrire la biographie de son fils, Le guerrier, pour en savoir plus je vous renvoie à la chronique de Réjean Tremblay de samedi qui en dit grand bien. L'auteur lui-même est plutôt de l'avis de mon collègue: «C'est drôle à dire mais c'est un livre écrit pour les femmes; les amateurs de hockey vont y trouver tout ce qu'ils aiment dans le hockey, mais les femmes, qui sont des grandes lectrices, vont y trouver l'humain et les émotions qui touchent.»

Le rapport avec le texte précédent? Bien évidemment l'humain et les émotions qui touchent. M. Roy a été nommé tout récemment président du conseil de Téléfilm Canada. Une job administrative certes, reste que, yesss, ça fait du bien de savoir que le président du conseil du plus grand, du plus plus officiel organisme de soutien à la culture canadienne accorde la plus haute importance à l'humain et aux émotions qui touchent.