Le jeudi 8 novembre 2007


Marc, l’Africain
Pierre Foglia, La Presse

Je vous ai déjà parlé de Marc, prof d’éduc à Georges-Vanier à Laval, il a touché à tout, marathon, ironman, plongeon, mais surtout le vélo. À la fin de l’an dernier, il m’annonce qu’il va traverser l’Afrique à vélo.

J’ai entendu un gars à Le Bigot, il en revenait. Le trip, qui se fait tous les ans, est organisé par une petite agence de Toronto. Les tentes, les bagages et la bouffe sont transportés par deux camions de brousse. Cinq mois. 12 000 kilomètres, 12 000$. Je prends un congé sabbatique. Tu viens?

Es-tu fou! Juste l’idée de traverser le Soudan en cuissard sur un vélo à 5000 $, j’ai un peu honte.

Il l’a fait avec une trentaine d’autres cyclistes canadiens et européens. Sont partis du Caire le 15 janvier. Sont arrivés au Cap le 13 mai, une moyenne de 120 kilomètres par jour, un jour de repos par semaine. Ont traversé l’Égypte, le Soudan, l’Éthiopie, le Kenya, le Malawi, la Zambie, la Tanzanie, la Namibie, le Botswana, l’Afrique du Sud.

L’idée de Marc, depuis le début, n’était pas vraiment le vélo. C’était les enfants. Aller au devant des enfants. Faire le lien avec les nôtres, en particulier ceux de son école à Laval. Il partait au lever du soleil, seul. Entrait dans les villages, dans les écoles, dans les classes. Faisait rire de lui, forcément avec ses drôles de culottes.

Il leur parlait d’un autre monde, il les faisait parler d’eux, les photographiait. Arrivé au campement, il se dépêchait d’envoyer ses photos sur son site. Des centaines de photos d’enfants. Enfants qui marchent sur la route dans leur costume d’école.

Enfants dans les classes. Enfants qui jouent au ballon comme tous les enfants du monde, sauf que ce n’est jamais un vrai ballon, une balle de chiffons, n’importe quoi. Enfants aux champs avec leur machette pour couper le maïs ou la canne à sucre. Enfants qui labourent.

Enfants qui cassent des pierres.

Le jour même, d’autres enfants au Québec essayaient de comprendre. Pourquoi ils cassent des pierres? Pour en faire du gravier. Pourquoi du gravier? Mélangé à la chaux cela donnera du ciment. Casser des pierres toute la journée, c’est l’enfer non?

Pas l’enfer. L’Afrique.

À Kibera, l’immense bidonville de Nairobi, la capitale du Kenya, dans une école pour orphelins du sida, Marc a rencontré des enfants qui s’inventaient des parents pour être comme les autres. Mon père? Il est aux champs. Ma mère? Avec mes sœurs à la maison. Sont des dizaines de milliers, peut-être séropositifs – on n’a même pas vérifié –, à mentir. Ils n’ont ni père, ni maison, ni sœurs, ni rien.

On devait vous regarder comme des Martiens ?

Ah! pour ça, nous ne passions pas inaperçus! Au nord du Soudan, près d’un puits où je m’étais réfugié pendant une tempête de sable, le maître du puits a voulu m’échanger mon vélo contre deux ânes et un chameau.

Les paysages?

Cent mille. Lever de soleil sur les rizières. Dérives dans les déserts. Savanes.

Champs de coton. La montée de 17 km – du vélo extrême – pour contourner le mont Kenya et ses neiges qui ne seront bientôt plus éternelles à cause du réchauffement de la planète. La route des éléphants au Malawi, au lieu des vaches dans les champs comme au Vermont, des éléphants. Les babouins du parc national du Kenya, et une fois des gardiens de la faune qui m’ont fait déplacer ma tente que j’avais plantée, paraît-il, trop près de la rive d’un lac infesté de crocodiles.

Le vélo?

8000 kilomètres d’asphalte, 4000 de terre. Quelques segments pénibles, mais dans l’ensemble, un effort à la portée de n’importe quel cycliste un peu obstiné. T’aurais détesté ces lignes droites interminables dans la garnotte. Ça prend surtout un bon moral. Au bout de deux mois, tu commences à t’ennuyer de ta blonde, de tes enfants et il reste encore trois mois à pédaler... On est partis 32, quatre ont abandonné, neuf seulement n’ont jamais pris le camion.

L’aventure ?

Suffit de se laisser glisser hors de la piste tracée... Je me souviens de cette journée, une des plus belles du voyage, il avait plu toute la nuit et une bonne partie de la journée, nos trucs de camping n’avaient pas eu le temps de sécher, les guides nous ont dit que ce serait une bonne idée de se trouver une chambre chez l’habitant. Le village était trop petit pour nous accommoder tous, avec trois autres je me suis rendu au village suivant, on roulait à fond pour arriver avant la nuit et avant la pluie qui menaçait encore.

Le village où on est arrivés s’appelait Kidako, une centaine de kilomètres au nord de Dodoma, la capitale de la Tanzanie. On y a trouvé le gîte chez des gens – un simple lit en fait – et le couvert, un épi de maïs grillé, du riz et ce gros poulet qui nous courait dans les jambes quand on est arrivés.

Le coq nous a réveillés à 4 h du matin. Le Hollandais qui était avec nous a dit : On devrait le manger pour le petit-déjeuner... Le fou rire nous a secoués jusqu’au départ. Les premiers kilomètres ont été magiques à travers les champs de tournesols.

Le retour au Canada ?

Tu veux un cliché: au retour, on n’est plus tout à fait le même. Dans ces longues lignes droites dont je te parlais, tu finis par te poser des questions essentielles.

Sur ta job, ta vie. Tu réponds à certaines, d’autres restent en suspens. Aussi, depuis que je suis rentré – autre cliché –, je n’arrête pas d’être interpellé par notre confort, par notre obsession de la sécurité, et par la consommation évidemment, je n’arrête pas de me demander pourquoi je devrais acheter ça? À quoi sert ce truc-là? La réponse me vient aussitôt: à rien. Ça ne sert à rien.

C’est le truc le plus troublant finalement. Tu reviens en te disant comment ça se fait qu’ils sont heureux quand même, et moi pas tant que ça avec tout ce que j’ai?