Le samedi 10 novembre 2007


La vaseline
Pierre Foglia, La Presse

Je lisais l'autre jour, dans le Nouvel Observateur, un court débat entre deux spécialistes de la communication à qui on avait posé cette question: la communication empoisonne-t-elle la politique? Je n'ai pas lu jusqu'à la fin. Non, ce n'était pas trop français, plutôt pas assez. Un peu plate, en fait. On aurait dit deux profs de l'Université du Wyoming dans un show de chaises à PBS.

Avant d'aller plus loin, la communication dont il est question ici ne sert pas à communiquer, mais à construire l'opinion publique. Comme je n'ai pas envie de vous donner un cours «Médias et sociétés», procédons par exemples.

Par exemple le développement durable. Pour se faire élire, un gouvernement doit se prétendre écologiste. Mais, une fois élu, l'écologie empêche le développement, enfin dérange les grands projets des amis du parti. Problème. Problème résolu par la providentielle juxtaposition de ces deux mots: développement et durable.

Développer, on sait ce que ça veut dire. Durable, on ne sait pas trop, mais ça se glisse bien n'importe où. Durable est un mot-vaseline. Durable est le doigt dans le cul de l'opinion publique. Durable n'est là que pour faire bien glisser développement. C'est un magnifique exemple de communication pure, comme on dit mathématiques pures: la formule, presque poétique, ne recouvre aucune espèce de pratique.

Autre exemple qui m'est soufflé aussi par mon collègue François Cardinal, le mot dépotoir. Il n'existe plus. Pourquoi? Parce que c'est un mot qui pue. Il n'y a plus de dépotoirs, ils ont tous été remplacés par des lieux d'enfouissement. Mais encore là, enfouissement... trouvez pas qu'il y a quelque chose de dissimulé, de «recouvert», dans enfouissement? On pense au chat qui va enfouir sa merde dans le jardin du voisin; n'a-t-on pas entendu dire que les Américains veulent enfouir leurs cochonneries à Lachenaie? Qui sait s'ils ne le font déjà. On a réglé le problème: ce sont maintenant des lieux d'enfouissement sanitaire. Là, tu parles. Sa-ni-taire. Qu'est-ce que tu veux de plus, qu'on les fasse pasteuriser, tes saloperies de vidanges?

Voilà seulement deux ans, aucun parti politique du Québec n'avait au programme un débat sur l'immigration. Il était de commun entendement que nous vivions dans une société inclusive, que l'immigration était une nécessité, que le seul problème d'intégration qui ne pouvait se régler par des arrangements était le problème d'intégration au marché du travail: reconnaissance des diplômes, des compétences, quelques cas, pas si rares que ça, de discrimination à l'embauche. Mais anyway, ce n'était pas au programme.

Par la grâce de Mario Dumont, qui s'est fait du capital politique sur quelques accommodements, disons, déraisonnablement folkloriques, nous voilà deux ans plus tard dans l'hypercommunication communautariste.

Tout, absolument tout dans ce feuilleton relève de la séduction de l'opinion publique. Des audiences de la commission Machin au ridicule projet de loi du gouvernement en passant par celui, maladroit, de Mme Marois. Tout est apparence. Il ne s'agit nullement de régler politiquement un problème qui n'existe d'ailleurs peut-être pas (je ferai remarquer que cela a commencé à nous piquer quand on s'est mis à se gratter), il ne s'agit nullement, disais-je, de régler un problème d'intégration, il ne s'agit pour les politiques que de prendre le même train que Mario Dumont, en évitant de monter dans le même wagon. Ce qui, entre vous et moi, ne servira à rien. Pour l'opinion publique, c'est Mario qui conduit le train.

Les grands leaders populistes sont des maîtres en matière de communication. À ce jeu-là, M. Harper est encore meilleur que M. Dumont, et M. Dion tellement pathétique quand il se frappe la poitrine avec son petit poing: c'est ma faute, j'aurais dû aller dans les émissions de variétés. Ce n'est pas d'aller à des émissions de variétés, M. Dion, c'est de reconnaître que le Québec est une nation. Trop tard, M. Harper y a pensé avant vous.

La politique est de plus en plus dans les mots, les images, les formules. De plus en plus dans la vaseline. De moins en moins dans l'argumentation. M. Harper qui reconnaît que le Québec est une nation, c'est de la vaseline.

Le discours sur l'Afghanistan aussi est complètement vaseliné. Le voyage de M. Coderre en Afghanistan n'était que communication, mais aussi la caricature involontaire de la présence canadienne en Afghanistan. M. Coderre est allé en Afghanistan pour M. Coderre. Comme le Canada est en Afghanistan pour le Canada.

Allons, monsieur le chroniqueur, les écoles et les routes que l'on construit là-bas ne serviront pas aux Canadiens. Si, justement. Elles servent à construire le Canada. À faire des Canadiens de bons citoyens, à nous construire un mythe.

Le mythe est un mode de signification, une parole, une forme (Barthes). En politique, le mythe n'est que vaseline (Foglia). Celui-ci par exemple: la-mondialisation-qui-crée-de-la-richesse. C'est vrai à moitié. L'autre moitié crève.

Vous me faites penser, l'Afghanistan... La dame qui s'occupe, en ce moment même, des relations de presse à Kandahar m'a écrit quelquefois, mine de rien. Comment ça va, monsieur le chroniqueur? Je suis une de vos fans. Avez-vous des coccinelles cette année?

Une fan, pourquoi pas. Ça tombe bien, pareil. Je tiens une chronique assez lue, elle s'occupe des relations de presse à Kandahar. Je l'ai félicitée pour son beau travail.

Vous me trouvez parano? Vous connaissez l'histoire des chevaux au mariage de Lady Diana et du prince Charles? Elle est racontée par l'écrivain Umberto Eco dans La guerre du faux (Grasset). Il ne fallait pas, raconte Eco, que le crottin des chevaux soit brun, ce n'était pas beau. Brun? Wouache, ça ne matchait pas les couleurs lumineuses du cortège. Pendant une semaine, on a fait bouffer des trucs spéciaux aux chevaux royaux pour que leur crottin devienne fluo et... télégénique.

Si je devais résumer cette chronique en quelques mots, je vous dirais que les politiciens, aujourd'hui, comme les chevaux royaux, chient fluo.