Le mardi 13 novembre 2007


J’ai roulé avec Céline
Pierre Foglia, La Presse

J’ai eu froid samedi. Quand il fait 3 degrés, avec un petit vent de face, à vélo c’est comme -12. J’ai pas de poil sur la poitrine, c’est pour ça, j’ai eu froid à la poitrine.

Dimanche, même température. Même soleil d’hiver un peu pâle. Même petit vent de face. J’ai eu une idée pour ne pas geler comme la veille, un truc que les coureurs utilisent en haut des cols avant de plonger la descente: ils glissent un journal sous leur maillot.

J’ai pris un cahier de La Presse de samedi qui traînait sur la table de la cuisine, l’ai glissé sous mon Patagonia. Hé, hé a protesté ma fiancée, je ne l’ai même pas lu. As-tu vu au moins ce que tu te mets sur la peau?

J’ai retiré le cahier: c’était celui des Arts, avec la grande photo de Céline. Je l’ai remise aussitôt sur mon coeur.

– Je ne l’ai pas encore lu, a insisté ma fiancée.
– Qu’est-ce tu veux savoir, chérie? Alain qui est allé la rencontrer à Londres et Paris m’a tout raconté, qu’est-ce tu veux savoir? Elle va super bien, elle est de bonne humeur, elle a adoré ses vacances au Luxembourg où elle a fait un peu de plongée sous-marine mais pas trop à cause de son état, tu savais pas? Elle attend des jumeaux.

À la douane de Frelighs, la douanière américaine, très gentille, m’a pris en pitié : «Fait pas trop froid pour rouler aujourd’hui?
– J’ai un truc, madame!
– What’s un truc?
– À trick!

J’ai retiré le journal de dessous mon Patagonia, l’ai déplié, le visage de la douanière s’est éclairé : «Céline!»
– That’s my paper, you know, je travaille dans ce journal-là.
– Vous avez écrit l’article ?
– Non, un ami.
– So, quoi de neuf sur Celine ?
– She’s fine, she’s happy, she loooooved her holiday in Luxembourg where she did a little scuba-diving, but not too much cause she’s expecting twins...
– No!
– Yes. Can I go now?
– Go ahead. Stay warm.

Je n’ai pas reconnu ce parcours que j’ai pourtant roulé des centaines de fois; dénudé comme il l’est en ce moment, il s’en dégage quelque chose de lunaire qui évoque la deshérence des hauts plateaux du Cantal. Dans Swamp Road, après la nouvelle piste de moto-cross, j’ai effrayé des dindes sauvages qui se sont envolées lourdement. Je n’en avais jamais vu autant, elles étaient bien une quarantaine, lourde escadrille qui est allée se poser, pas tellement loin, dans une friche buissonneuse.

Il était 5 h quand je me suis présenté au poste de Morses Lines. Il ne restait presque plus de clarté. Vous ne rapportez rien? m’a demandé le douanier. Un peu de nuit, j’ai dit.

LES POISSONS – Vous savez comment sont les lecteurs de nouvelles à la radio? Im-per-tur-bables. Jamais un poil qui dépasse. Surtout jamais de commentaires.

Ce mardi-là, le bulletin d’information de 13h, à Radio-Canada, se termine par un reportage sur le succès étonnant d’un petit journal d’annonces du Bas-du-Fleuve, le Bric à Brac, lancé il y a cinq ans avec une mise de fonds de 5000$, et qui vaut aujourd’hui un million et demi. Journal qui annonce aussi bien des meubles anciens que... que des poissons laveurs de vitre, ajoute le lecteur de nouvelles que l’on devine très dubitatif. Fin du bulletin? Non. Le lecteur est toujours à son micro, on l’entend se racler la gorge, quelque chose le turlupine... lui qui jamais en 56 ans de carrière ne s’est permis d’exprimer sa tristesse, sa joie ou même son étonnement, il ne peut, cette fois, retenir son insondable perplexité:
Tout de même, dit-il, des poissons laveurs de vitre, c’est pas banal!

Mais si nono, c’est banal, c’est le premier foutu poisson que tu mets dans un aquarium justement pour qu’il en lave les vitres avec ses babines ventouses. Il faut se méfier du nom des poissons, poisson-marteau, poisson-scie, poisson-tournevis, c’est des blagues, y’ont pas de coffre à outils ; quant au suceur cuivré à grande bouche, il ne rend pas les services que tu crois.

RETOUR DE CHRONIQUE – Faisant l’autre jour le portrait de feu mon chat Momo, le plus convenu de mes chats, je disais : s’il (Momo) n’avait pas été un chat, il aurait travaillé à La Baie au rayon des électroménagers.

Deux mois avant cette chronique... Pierre D. se rend à l’Institut de neurologie où son père qui a travaillé 30 ans au rayon des élecroménagers de Morgan’s (qui deviendra La Baie) est hospitalisé pour une grave maladie (Lou Gehrig). Son père dormait agité de tremblements et de petits spasmes, comme souvent les chats quand ils dorment. Mon père est un chat, écrit alors Pierre D. sur un bout de papier.

Deux mois plus tard, il tombe sur cette chronique qui parle de Momo: vous êtes dans les patates, monsieur le chroniqueur, ce n’est pas votre chat qui aurait vendu de l’électroménager chez Morgan’s, c’est mon père qui était un chat.

RETOUR DE CHRONIQUE, BIS – Mercredi matin, je suis à l’église St-Michel de Vaudreuil avec mes amies choristes, nous allons chanter pour la petite Bianca Leduc... L’église est pleine, il y a aussi des caméramans, des photographes, certains font preuve d’un tel manque de respect que j’en suis estomaquée, la meilleure photo, la meilleur bout de film, fixer à tout pris le chagrin des parents, leur désarroi, quel déplorable voyeurisme. (LL).

Il eût été facile, madame, d’éviter cela en célébrant des funérailles privées. S’il y a quelque chose de privé, c’est bien le chagrin. Il n’y aurait eu alors ni photographes, ni de caméramans. Et peut-être bien aussi pas de lâcher de la colombe.

RETOUR DE CHRONIQUE, TER - Chronique de samedi, les mots vaselinés, dépotoir devenu site d’enfouissement, puis d’enfouissement sanitaire... il y a encore mieux me dit-on, il y a l’ancienne carrière Miron dans le quartier Saint-Michel devenue Complexe environnemental... Il ne faut vraiment pas en avoir, de complexe, pour oser qualifier d’environnemental ces 192 hectares de merde.