Le samedi 1er décembre 2007


La femme remonte à la plus haute Antiquité
Pierre Foglia, La Presse

Gros émoi autour de la chronique de ma collègue Marie-Claude Lortie, l’autre semaine au bureau. Je reviens sur le même sujet, sur le fond, pas sur les vagues que cela a fait et continue de faire en surface. Pour ceux qui ne l’auraient pas lue, Marie-Claude parlait du refus de l’âge, plus précisément du ridicule qu’il y a à paraître 23 ans quand on en a 112.

J’en vois une presque tous les soirs à la télé qui doit bien avoir mon âge ou pas loin et qui en paraît facilement 30 de moins. Je n’exagère en rien. D’ailleurs, je dois admettre que, d’un point de vue purement esthétique, c’est très réussi, et même renversant. Vous allez me dire : évidemment, d’un point de vue esthétique ! Quel autre point de vue? Vous n’allez tout de même pas mêler l’éthique ou, pire, la morale à cela, monsieur le chroniqueur.

Il ne s’agit nullement de morale. Je m’étonne seulement que l’étiquette du savoir-vivre, qui est moins affaire de règles que de sensibilité et garde l’Homme et sa fiancée du ridicule, ne s’applique pas (ne s’applique plus ?) au savoir-vieillir. Même si mon modèle serait plutôt Jeanne Moreau, je comprends qu’une femme de 60 ans s’arrange pour avoir l’air de 50. Je comprends moins que la dame dont je vous parlais tantôt ait l’air plus jeune aujourd’hui qu’il y a 25 ans, et...

Et quoi? s’impatiente ma fiancée.
Et elle est ridicule, c’est tout.

Ma fiancée ramasse sur la table à café l’édition british du Country Living, la feuillette rapidement. Voilà, elle a trouvé. Page 16, photo pleine page de Jane Fonda dans une pub de L’Oréal. Les quelques rides autour des yeux ont été laissées exprès, comme les deux fossettes, une à chaque coin de la bouche, qui mettent entre parenthèses le sourire. Tout le reste est parfaitement lisse. Le cou, nu de bijou, est gracile comme celui d’une jeune fille.

Elle a 70 ans. Là-dessus, on lui en donne 38. Comment la trouves-tu?
Belle.
Ah! Pareil quand tu vois Susan Sarandon ou Catherine Deneuve, ou même Nanette.
Pas Susan Sarandon!
Ben oui! Susan Sarandon comme les autres.
Pas toi, mon amour.
Es-tu sûr? J’avais une tache ici, sur le front, tu l’avais vue?
Non. Une tache de quoi?
Une tache de vieille. Je l’ai fait enlever. Pourquoi penses-tu que je vais chez la dermato?
Au moins, tu ne te teins pas les cheveux.
Mais si, je me les teins. Toutes les deux semaines, un shampoing bleu.
Niaise-moi, t’as les cheveux bleus?
Non, mais sans ce shampoing, mes cheveux blancs seraient jaunes. Tu vois...
Je vois quoi?
Rien, justement.

La femme remonte à la plus haute Antiquité, disait notre maître à tous, Alexandre Vialatte. Il est bon de le répéter en ces temps où cela ne paraît presque plus.

Elles sont jolies, tes lulus! Quel âge as-tu?
Soixante-quat’l’an et demi, m’sieur...
* * *

LE PROGRÈS — La papetière AbitibiBowater a annoncé hier 1500 mises à pied, dont la moitié au Québec, dont la fermeture de son usine de Shawinigan et de celle, temporaire, de Donnacona. Pourquoi ces fermetures ? Mon journal l’explique très bien. Le dollar canadien en hausse, la demande du papier journal en baisse en Amérique du Nord, les droits de coupe de plus en plus limités (maudit Richard Desjardins), les hauts salaires (maudits syndicats).

L’article se termine cependant par un excellente nouvelle, excellente et totalement inattendue pour des gens comme moi, encore un peu communistes et complètement nuls en économie. L’image que m’évoquent ces 1500 jobs perdues, à trois semaines de Noël, c’est JUSTEMENT l’image d’un père Noël complètement cynique qui crisse une brique dans la cheminée des enfants de ces travailleurs licenciés. Une chance que j’ai lu le texte jusqu’à la fin parce que, à la fin, ça s’arrange beaucoup. Comme vous n’avez peut-être plus le journal sous la main, je vous la lis, la fin: «Le marché a extrêmement bien réagi aux nouvelles» (la nouvelle des 1500 jobs perdues). Je reprends et j’insiste: le marché a extrêmement bien réagi aux nouvelles, faisant grimper l’action de 1,75 $.

Voyez, faut toujours voir le bon côté des choses. Et pour ça, il faut lire les nouvelles jusqu’à la fin. Le meilleur est souvent à la fin.

Un dernier détail. À Homier-Roy hier matin, c’est la dame qui fait l’économie qui a donné la nouvelle. Et dans nos pages, la nouvelle a été traitée en une de notre section économique (avec une modeste aguiche en grande une). Où je veux en venir? À ceci: 1500 personnes qui perdent leur job, c’est une nouvelle économique.

À la grande une du journal, lue par toutes sortes de gens qui ne comprennent rien à la marche du monde comme vous et comme moi, 1500 jobs perdues, c’est 1500 sinistrés, une catastrophe. À la une du cahier économie, c’est la loi universelle du marché. Une conséquence inévitable de la modernisation de l’industrie canadienne des pâtes et papiers. Bref, c’est de l’économie. Peut-être même du progrès.

* * *

LA GRANDE BIBLIOTHÈQUE – Mercredi, pour fêter mon anniversaire, je suis allé à la Grande Bibliothèque. C’était la première fois.

Je m’étais fait une liste. La pensée enchaînée, de Susan George. Le jeune homme pitonne sur son ordi. Il est en traitement, monsieur.
????
Cela veut dire qu’on l’a reçu, mais il n’est pas encore en rayon.
Bon, Un vrai roman, de Philippe Sollers? Le jeune homme pitonne.
Nous ne l’avons pas reçu, monsieur.
Alors peut-être le dernier Modiano, le café de... Le jeune homme pitonne.
Sont tous sortis, il faudrait vous inscrire sur la liste d’attente.
OK. Histoire de la laideur, d’Umberto Eco. Le jeune homme...
Nous l’attendons, monsieur.
J’ai appelé ma fiancée sur mon portable, j’étais tellement déçu. Vous devez sortir pour téléphoner, m’a dit le jeune homme.
Je suis sorti. L’air frais m’a fait du bien. Bougre d’idiot, c’est pas une grande librairie, c’est une Grande Bibliothèque.
J’y suis retourné le jeudi matin. Cette fois, j’avais pris mes précautions, je m’étais apporté de quoi lire. Des poèmes de Bukowski que Victor-Lévy m’a offerts l’an dernier et que je venais de retrouver en faisant le ménage de mon bureau à La Presse. Cher ami, m’écrit-il sur la page de garde, de son écriture en bâtonnets, j’ai trouvé ceci en bouquinant aux USA, j’ai pensé que vous aimeriez...
style is the answer to everything\a dangerous thing...
Les fauteuils sont écoeurants, à la Grande Bibliothèque.