Le mardi 4 décembre 2007


Vous exagérez!
Pierre Foglia, La Presse

Quand les gens sont sortis hier matin, ils ont vu de la neige, des autos ensevelies, des arbres tout festonnés, un cycliste fantomatique qui surgissait de la poudrerie.

Ils ont pelleté leur galerie puis sont rentrés, ont allumé la télé et ils ont vu de la neige, des autos ensevelies, des arbres tout festonnés, un cycliste fantomatique qui surgissait de la poudrerie et des gens qui pelletaient leur entrée. La différence entre une bordée de neige et une tempête, ce n’est pas l’accumulation, c’est la répétition. Essayez de vous souvenir combien de fois vous avez entendu le mot tempête depuis trois jours...

Quand je suis sorti ce matin, il neigeait, c’est tout. Faisait même pas froid, pas assez, j’aurais souhaité quelques degrés de moins pour qu’elle soit moins lourde à pelleter. C’est que j’en ai long à pelleter. L’entrée, et devant la grange, et devant la shed où j’ai cordé mon bois, et des chemins pour les minous. Je venais de rentrer, tout mouillé, quand le bureau a appelé : tu nous fais un billet sur la tempête ?

La tempête, la tempête, il neige c’est tout.

Ils s’attendent à un billet-banquise, un Brueghel enfariné que décoifferait un méchant blizzard, mon village pelotonné dans son écrin blanc, à moins que ce soit dans le linceul vaporeux de l’endormeuse saison, c’est du Baudelaire oui madame, Baudelaire qui parfois écrivait aussi quétaine que la gagnante du concours annuel du cercle poétique et littéraire de la Haute-Yamaska.

J’arrive du village. Dans l’étang du voisin, les canards allaient à leurs affaires comme si on était au mois de juin. Les Limousin du chemin Philipsburg, toujours dans leur prairie, apparaissaient, fantomatiques, comme à travers un rideau de tulle. Voyez, il n’y a pas que Baudelaire, n’importe qui peut faire de la poésie avec quelques canards, des vaches et un début d’hiver.

On n’a pas vu de chevreuils de la journée. Ni de coyotes. Mais la cour est pleine de tourterelles et d’un ménage à trois de cardinaux, deux dames et un monsieur qui fait l’important. Sophie, ma chatte blanche, est invisible sur la neige blanche, pas un poil de ses moustaches (blanches aussi) ne frémit, quelque chose me dit que les deux dames pourraient bien être veuves prochainement.

J’ai dégagé ma boîte aux lettres enterrée par la charrue. J’y ai trouvé le Time et une carte de souhaits de ma sœur de Californie qui me dit que la Californie est en train de se déliter sous la pluie. Et toi, as-tu déjà de la neige?

Oui ma chère, il en tombe depuis cette nuit, doucement. Mais ce n’est pas la tempête, c’est même le contraire : du temps engourdi. Du temps assourdi. Du temps comme avant, presque médiéval. Du temps qui fait la nuit longue. Un temps à descendre mon vélo à la cave avec un regret : il me manque moins de 50 kilomètres pour arriver à un chiffre rond. Un temps à déployer une carte de Cuba sur la table de la cuisine. Un temps qui vous aspire à l’intérieur.

Une tempête? Tout le contraire, du temps apaisé.