Le samedi 8 décembre 2007


Trois minutes d’écologie
Pierre Foglia, La Presse

Avertissement: vous avez trois minutes pour lire cette chronique. Trois minutes comme dans le règlement pour les moteurs de madame la ministre de l’Environnement. Au-delà de trois minutes, cette chronique produit des gaz à effet de serre, il s’ensuit un réchauffement de la planète et peuvent en résulter des inondations, des famines, et même la disparition de certaines espèces.

Trois minutes donc, pendant lesquelles nous allons parler d’écologie. Quelle était votre question déjà? Ah oui, vous vous demandiez si l’avenir de la planète me préoccupe?

Pas une crisse de seconde. Je n’y pense jamais. Je pense souvent à l’avenir de la planète mais à peu près jamais en termes écologiques, jamais pour me demander comment l’Homme et sa fiancée s’adapteront aux dramatiques changements climatiques annoncés. Cela ne me préoccupe ni ne m’interpelle. Quand je pense à l’avenir de la planète, c’est pour me demander quelle en sera la culture dans sept ou huit siècles (le livre-papier aura-t-il complètement disparu?), qu’en sera-t-il du langage, de l’art en général, de Dieu (de l’idée de), de l’état de la pensée, de la beauté, du Tour de France, et de comment on assurera le service après-vente de la démocratie, mais me demander quel temps il fera? Jamais.

Franchement? L’écologie me déconcerte.

Par exemple, madame la ministre et son règlement de trois minutes dont on nous rabat les oreilles ces jours-ci. Je ne comprends pas. Le discours écologique tourne toujours autour de la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, autour de l’idée que si l’on ne fait rien la planète pourrait se réchauffer de quatre degrés d’ici 100 ans et alors bonjour les inondations...

Sauf que dans 100 ans je serai mort. Mes enfants seront morts. Mes petits-enfants seront morts. Et dans 100 ans l’Homme et sa fiancée auront sans doute trouvé une solution. Laquelle? Eh bien par exemple, quand l’eau va monter: ils vont reculer plus loin sur la rive. Pas fous. Ou alors ils resteront là, mais ils rouleront les bas de leurs pantalons pour ne pas les mouiller.

Anyway c’est dans 100 ans. Il y a beaucoup plus urgent. Je ne comprends pas pourquoi le discours écologique, toujours gonflé aux gaz à effet de serre, ne dit presque rien du cancer. Ne dit presque rien de la chimie. Ne dit presque rien de l’usage intensif des pesticides en agriculture. Le Canada par exemple, si prompt à s’inquiéter de la nocivité du lait cru, si prompt à mesurer notre cholestérol, le Canada homologue plus de 300 produits qui sont soit des insecticides, soit des herbicides, soit des fongicides et qui nous font crever, et qui nous donnent la peste et des boutons, et des bubons polychlorés.

Je veux bien ne pas laisser tourner mon moteur plus de trois minutes si cela peut faire plaisir à madame la ministre de l’écologie, mais la même ministre pourrait-elle me rassurer sur l’effarante augmentation depuis 30 ans des mélanomes (cancers de la peau), des myélomes (cancers de la moelle osseuse), de cas de leucémie, de cancers de la vessie, de cancers chez les animaux même? La ministre peut-elle me confirmer que cela n’a rien à voir avec l’industrie chimique? Si elle ne peut pas me le confirmer, pourrait-elle me dire ce qu’elle fait, et ce que ses prédécesseurs et homologues au fédéral ont fait pour réguler l’industrie chimique qui est au cœur de cette chierie délétère dont mes enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants risquent de crever cent mille fois plus que d’un tsunami causé par l’éventuel réchauffement de la planète?

Pourrait-elle me confirmer que les hormones et antibiotiques administrés au bétail ne favorisent pas le développement, chez l’humain, de bactéries résistantes aux antibiotiques (ce qu’on appelle l’antibiorésistance)? Me confirmer aussi que ces hormones et antibiotiques sont sans aucun effet cancérigène. Si elle ne peut pas me le confirmer, qu’attend-elle pour interdire les antibiotiques dans la production animale?

C’est là mon sentiment: on se trompe de discours écologique. On ne se trompe pas vraiment, on va au plus facile. C’est plus facile de pomper l’air des citoyens avec «sacs de plastique ou sacs de papier?», c’est plus facile de nous infantiliser, «les os de poulet dans le bac bleu, les petits pots de yogourt dans le bac vert», c’est sûr, c’est plus facile de nous dire ne pas laisser tourner notre moteur plus de trois minutes que d’aller causer cinq minutes avec le PDG de Monsanto ou celui de Dupont.

* * *

Autre source importante de pollution dont on ne parle jamais, le discours écologique lui-même qui produit en masse de l’extrême correctness, de la bonne opinion, de l’amour de soi-même, de l’avenir pour nos petits-enfants, et du sirop.

J’entends les écolos aujourd’hui, j’entends les bons prêtres d’autrefois, j’entends les vieux hippies, j’entends les féministes d’il y a 35 ans. Le mouvement féministe défendait la cause fondamentale de l’égalité entre l’homme et sa fiancée, les écolos mènent peut-être un combat qui sauvera la planète, alors pourquoi ses mouvements dits «d’ouverture» finissent-ils par devenir oppressants? À cause de leurs certitudes même?

Pourquoi dénoncer Harper et Bush mais se laisser flatter dans le sens du poil par Charest qui sait nous amuser, il est vrai, avec des règlements tout à fait rigolos, alors voilà ça prend un Hummer et ça prend un chrono, vous êtes prêts? Partez! Vous avez trois minutes.

Au moins Harper et Bush ont le courage de poser brutalement une vraie question: le capitalisme est-il soluble dans l’écologie?

Soyez gentils de ne pas me répondre une connerie, genre: le développement durable. De toute façon vos trois minutes sont terminées.