Le samedi 15 décembre 2007


J’t’ayis pas
Pierre Foglia, La Presse

Le fumeux projet de loi de M. Charest pour rendre impossible un accommodement qui violerait le principe d’égalité entre les femmes et les hommes nous dit assez que le politique ne sait pas trop comment cueillir les fruits de la commission Bouchard-Taylor.

Et s’il n’y avait tout simplement pas de fruits ?

Ce qui ne veut pas dire que la Commission aura été inutile. Même si elle ne se traduit pas par des lois ni par une nouvelle façon d’accommoder les accommodements, la Commission aura grandement éclairé un débat pourtant bien mal engagé.

Il y a des leçons de choses ; la Commission, elle, nous aura donné une leçon de gens. Voici des Arabes. Voici des musulmans. Voici des juifs. Voici des Latinos. Voici des Italiens. Voyez comme, à l’intérieur même de chaque communauté, ils ne sont pas homogènes. Pas plus que nous, finalement. Les musulmans ont leur imams à la con comme on a notre cardinal Ouellet. Il y a des juifs laïques, beaucoup à part ça. Les Arabes sont souvent chrétiens. Les Latinos ne sont pas tous des Chiliens francophiles. Et il y a aussi, Dieu merci, des Italiens du Nord.

Ce que nous a montré cette commission, c’est de l’altérité, de l’hétérogène. Les immigrés, même ceux qui résistent, sont engagés comme nous dans un processus de métissage. Ce que nous a montré la Commission n’est pas un portrait fixe, mais une situation en mouvement, en transformation constante. Constante et lente par nature. Il ne sert à rien de s’énerver pour un kirpan. Ces choses-là prennent beaucoup, beaucoup de temps.

Métissage. Pas mariage, métissage. Il y a un mot savant : transsubstantiation (quand la substance devient autre). Il y a un autre mot savant : acculturation. Si vous préférez une image : laisser infuser lentement.

Pendant ce temps, en Ontario (cela aurait pu arriver ici, mais c’est mieux en Ontario – va savoir ce que le National Post en eût dit si c’était arrivé ici), pendant ce temps, un papa musulman tue sa fille qui prenait, semble-t-il, trop de libertés avec le Coran et... ce serait une grave erreur de banaliser l’événement, m’écrit un lecteur. Ah bon. Vous en feriez quoi, vous, monsieur, de cette histoire-là ?

Aucun crime n’est banal, bien sûr, mais l’environnement de celui-ci l’est complètement, banal. Demandez aux Portugaises, aux Italiennes nées au Québec il y a 40 ans de parents immigrés. Demandez-leur combien de fois leur père les a insultées, menacées parce que leur robe était trop courte, leur rouge trop rouge, parce qu’il était minuit et qu’il avait dit à 10 heures. J’entends ma mère à ma sœur : puttana, je vais t’étrangler de mes mains.

On est ici dans le quotidien, dans l’infusion lente, dans le devenir imperceptible de l’immigré, dans son lot de renoncements, de chocs avec la modernité. Aucune commission, aucune loi, aucune charte ne peuvent rien pour... comment dire ? Pour faire de l’immigré qui vient d’arriver un être léger.

Ce qu’a permis la Commission, et il faut l’en remercier mille fois, c’est de nous rapprocher un peu de cette réalité-là tout en nous éloignant un peu de Hérouxville.

Pourtant, et je vais avoir l’air de me contredire, ce qui m’a le plus dérangé, ce ne sont pas les quelques dérapages, ce n’est pas Hérouxville ni même l’offensive des cathos de choc. Ce qui m’a le plus dérangé, c’est cette dégoulinade (tellement québécoise) de bons sentiments, ces protestations de fraternité universelle qui, paradoxalement, sonnent à mes oreilles comme les moins accueillantes aux autres.

Je t’aime, mon ami, j’étais pu capable. J’t’ayis pas, c’est déjà bien, non ?

ÉCLABOUSSÉ ! — C’est au tour du baseball de se rouler dans le scandale. Plus de 80 joueurs impliqués, dont de grandes vedettes. Bonds, on savait déjà. Mais aussi Roger Clemens, Miguel Tejada et « notre » Éric Gagné. Stéroïdes. Hormones de croissance. Des preuves. Des témoignages.

Des sanctions ? Peut-être. On va voir. On va étudier cas par cas.

Des suspensions ? Pour l’instant, aucune.

Des mesures ? Oui, une. Écoutez bien, elle est drôle : à l’avenir, les joueurs ne seront plus avertis d’un contrôle 24 heures à l’avance ! Ils avertissaient ! Va savoir combien ils en auraient pogné sans les avertir...

Fait 10 ans, depuis l’affaire Festina en 1998, que je me fais demander si je n’ai pas honte de couvrir le bécyk, « ce crisse de sport de dopés ». On vient de faire deux fois une heure de télé grande écoute sur Jeanson, du bécyk de fille ! Un sport moins suivi, moins populaire que le curling. Deux heures. Là, ils viennent de pogner Éric Gagné, meilleur lanceur du baseball en 2003, le baseball, sport national de 300 millions d’Américains. Éric Gagné de Mascouche. Full hormones de croissance. Le titre de mon journal : Éric Gagné éclaboussé.

Vous comprenez bien ce que veut dire éclaboussé ? Ça veut dire que ce n’est même pas de sa faute. Il y avait de la boue, il était là par hasard, il en a reçu. Pas chanceux. Geneviève Jeanson, elle, a triché, la salope. Gagné ? Il a été éclaboussé, le pauvre petit. Faut le comprendre, dans ce monde de drogués, fallait bien qu’il gagne sa vie : 10 millions par année.

Gagné vient d’être engagé par les Brewers de Milwaukee. Sont-ils accablés ?

Consternés ? Non. Sont seulement un peu déçus. Vont-ils suspendre leur nouvelle acquisition ? Non, pourquoi ?

Gagné avait été échangé en fin de saison dernière aux Red Sox de Boston, qui viennent de gagner la Série mondiale. Savaient-ils que Gagné était full hormones de croissance ? Oui, pourquoi ?

C’est décidé, cet été je couvre le baseball. Sont pas mal plus cool que dans le bécyk, je trouve.