Le samedi 22 décembre 2007


La pluie, c’est bon pour les radis
Pierre Foglia, La Presse

On vient de soupeser les propos des « de-souche » qui ont pris la parole lors des forums de la commission Bouchard-Taylor. Et on a trouvé quoi ?

Que 2 % avaient tenu des propos racistes. C’est la première catégorie.

Que 13 % avaient tenu des propos lourds de préjugés défavorables, c’est la seconde.

Que 50 % avaient tenu des propos modérés, c’est la grande plaine du milieu.

Que 20 % avaient tenu des propos licheux, lourds de préjugés favorables.

Enfin, que 15 % se sont exprimés sur des sujets autres que ceux cernés par la Commission. On les a, il me semble, abusivement exclus de l’étude. Quinze pour cent de purs imbéciles, ce n’est pas si inintéressant, comme statistique.

On ne s’entend évidemment pas sur la façon de lire cette étude. Par exemple, pour les deux premières catégories, 15 % de racistes dans une société, est-ce énorme ? Beaucoup ? Ou tout simplement normal ? Par « normal », j’entends : pas pire, pas mieux qu’ailleurs. Pas pire, pas mieux que dans le reste du Canada. Pas pire, pas mieux que dans la plupart des pays d’Europe, quel que soit le modèle d’intégration. Rappelons-nous que, dans de nombreux pays d’Europe – France, Belgique, Allemagne, Autriche, Hollande, Italie – sévissent des partis d’extrême droite ouvertement racistes qui vont chercher à peu près ça : dans les 15 % à chaque élection. Rappelons encore qu’en 2002 la France des Lumières a envoyé Le Pen en finale des présidentielles.

Quinze pour cent, un raciste sur six habitants. On ne parle pas ici de la Chine ni des ex-républiques du bloc communiste, mais des plus vieilles démocraties de la planète. Quinze pour cent, un raciste sur six habitants. Rien pour être fier de l’Homme et de sa fiancée. C’est beaucoup, c’est énorme et... et c’est normal. C’est ça. C’est tout.

Bien entendu, au Québec aussi. Sauf qu’au Québec il se trouve toujours plein de gens pour laisser entendre, pour laisser croire, pour faire comme si c’était au Québec seulement. C’est voulu. C’est là une instrumentalisation politique, un racisme utilitaire jamais pris en compte par les statistiques. S’il l’était, il ferait considérablement monter la moyenne canadienne.

L’autre grand désaccord de lecture porte sur les 50 % de modérés. Il se trouve des profs de ceci-cela, des intervenants auprès des immigrés pour affirmer sans vergogne que, sur le fond, ces 50 % de modérés sont clairement xénophobes. Pour les intégristes du pluralisme à la canadienne, revendiquer que les immigrés fassent un effort pour s’intégrer à la culture de la majorité, c’est de la xénophobie.

Entendez-moi bien. Un intellectuel se lèverait pour crier que le Québec est assis sur ses préjugés, ses clichés, son folklore de merde, sur une bêtise sans équivalence dans la francophonie, qu’il adore des nullités, qu’il est toujours à revendiquer le (gros) bon sens qui n’a jamais été rien d’autre qu’une formule rancie, j’applaudirais comme un fou. Mais d’entendre d’une dame chercheuse à l’INRS que quatre Québécois de souche sur cinq sont xénophobes, je dis que c’est de la pure merde. Je dis que c’est crinquer le ressort de la culpabilité. Je dis que c’est envoyer du renfort à Mario Dumont. Je dis que cette dame est sûrement une rejetonne illégitime de Trudeau.

Je dis aussi que ce qui est vraiment inquiétant et unique au Québec, ce sont les 20 % de connards de la quatrième catégorie : on a beaucoup à apprendre des immigrés, leur culture enrichit la nôtre. J’entends la voix qui dit ça, elle traîne un peu, pose : Leur culture enrichit la nôtre. Parle pour la tienne, de culture, si creuse qu’un peu de couscous la remplit.

Évidemment que se frotter au monde enrichit. Est-ce bien nécessaire, ma tante, de s’en extasier sur le ton du jardinier un peu gaga qui regarde tomber la pluie : c’est bon pour les radis ?

Comment t’expliquer, ma tante, que me vient toujours, à ce moment précis, une furieuse envie d’aller pisser sur les putains de radis ? Peut-être suis-je un peu xénophobe, après tout. M’a te dire, cela me dérangerait moins que d’être un peu con.

Hitler dans ma cour

Tôt ce matin, deux chevreuils ont traversé la prairie. Même dans leurs traces de la veille, ils avaient de la neige au poitrail. Puis une grosse chouette rayée est venue se percher sur un piquet de clôture. Comme elle nous tournait le dos, on n’a pas pu voir « ses grands yeux bruns larmoyants », dont fait état mon livre d’oiseaux.

À ce que j’ai vu jeudi, lorsque je suis allé en ville, il y a cette année une sacrée différence entre l’hiver chez vous et l’hiver ici. Ici, la neige, profuse et sédative, monte, sans que cela ne dérange personne, jusqu’au poteau de clôture où est juchée, je vous l’ai dit, une chouette rayée. Alors que chez vous, la neige est tout industrieuse, en cela qu’elle mobilise des convois monstrueux.

Le pire, ici, a été de pelleter le toit des granges, ce qu’il fallait faire avant la pluie qu’on nous annonce pour demain. La pelle s’accrochait sans cesse aux rivets disjoints de la tôle... Mais attendez, je me trompe, le pire, c’est de penser à l’an dernier. L’an dernier, il n’avait pas encore neigé le 22 décembre, j’étais allé chercher les chocolats de Noël en vélo à l’Œuf.

Tôt ce matin encore, une sorte de miracle est arrivé dans les vinaigriers où se tenait en embuscade, près des mangeoires, une pie-grièche. J’entends d’ici crier mon collègue Pierre Gingras s’il me lit : va chier ! pas une pie-grièche !

En voie de disparition au Canada (neuf couples au Manitoba, 26 en Ontario, aucun au Québec), de la taille d’un geai, le bec à peine crochu, pas de serres comme les rapaces. D’ailleurs, ce n’est pas un rapace, sauf par les mœurs. Si elle s’attaque aux mésanges, c’est par pure méchanceté. La pie-grièche est hitlérienne : elle tue ses proies en les laissant tomber sur les épines des aubépines. Ma cour est pleine d’aubépines.

Vous le savez, bien sûr, mais je vous le rappelle à tout hasard, le monde est plein d’horreurs et de merveilles. Parlant de merveilles, ce matin L’automne est morte souviens-t’en. C’est le début du plus beau poème de la langue française peut-être. Ça finit par souviens-toi que je t’attends. C’est Apollinaire qui parle de la fin des choses, odeur du temps brin de bruyère.