Le dimanche 15 juillet 2007


Le Tour n'est pas commencé
Pierre Foglia, La Presse, Tour de France

J'arrive à l'instant de pédaler la montagne de Jay, parti de chez moi vers le milieu de la matinée, suis rentré vers trois heures de l'après-midi, tout seul mais pas vraiment. Le samedi et le dimanche la montagne de Jay est envahie par des gangs de cyclos du Québec; ils laissent leur char à Sutton, descendent par la piste cyclable de la 139, passent la douane à Abercorn, enfilent la première montée à partir de Richford, remplissent leurs bouteilles au dépanneur du village Jay d'où ils attaquent la seconde montée qui les amènera à Montgomery. Un tour très athlétique d'une centaine de kilomètres pour au moins 30 montées pas toujours faciles.

Le vélo a vraiment changé depuis, disons, une dizaine d'années. Entre les super-rouleurs et les promeneurs de pistes cyclabes, me semble que le peloton de ceux que j'appelle les cyclos sportifs ne cesse de grossir, entre 30 et 60 pour l'âge, entre 25 et 30 pour la moyenne à l'heure, des sorties de 100 km, l'Europe une année sur trois pour aller faire les Alpes ou les Pyrénées, le Grand Tour au mois d'août avec Vélo Québec, des vélos entre 2000$ et 4000$ (à 4000 tout carbone, of course), bien du Specialized, du Guru, encore pas mal de Marinoni. Ils me connaissent évidemment, je le dis sans forfanterie, depuis le temps que je pédale dans mes chroniques, ce serait bien le diable...

Bonjour M. Foglia, faites pas le Tour cette année? Hé hé, vous roulez pas pire pour votre âge.
Comment ça pour mon âge? Ils venaient de me rejoindre dans la côte de la douane, un couple de Sherbrooke, m'ont tiré jusqu'à Frelighsburg.
Vous allez parler du Tour dans La Presse de demain?
Faudrait d'abord que je sache qui a gagné l'étape.
D'après vous?
Aucune idée.

En fait j'en avais une petite d'idée. Pour le scénario du moins. Dans une première étape de montagne, il y a souvent deux courses. Celle de devant avec les échappés partis de loin. Et celle, déterminante, entre les favoris qui s'expliquent dans le col de la fin.

Rien cette fois. Tous les comptes-rendus en font état sur un ton un peu désolé: il n'y a pas eu d'explication entre les favoris. Personne n'a osé foutre le bordel. Personne n'a osé attaquer les coureurs d'Astana, Vinokourov et Klöden. Un round d'observation comme on dit. Normal? Oui pis non. Oui, en principe. Non, dans les circonstance particulières de ce Tour.

Résumons. Depuis le départ de Paris, il ne s'est rien passé, sauf un truc important: dans l'étape de jeudi, les deux grands favoris, Andreas Klöden et Alexandre Vinokourov ont lourdement chuté.

Klöden est blessé au coccyx. Vinokourov aux deux genoux. C'est cela que les autres favoris, les Valverde, Leipheimer, Cadel Evans, Sastre, Moreau auraient dû tester hier dans la montée du col de la Colombière. Klöden et Vino sont-ils vraiment touchés?

Le feront-ils aujourd'hui dans la seconde étape alpine? Ne vous excitez pas trop. Aujourd'hui, c'est une fausse grande étape de montagne. Le Cormet de Roselend est un peu loin de l'arrivée, les deux montées suivantes, dont celle qui mène à la station de Tignes où sera jugée l'arrivée, sont, paraît-il, très roulantes, des cols pour baroudeurs plus que pour vrais grimpeurs.

Reste que ce n'est pas le parcours qui fait la course, ce sont les coureurs. S'ils décident de faire la guerre, le Tour peut exploser. Mais je n'y crois pas. Il semble bien que le premier vrai rendez-vous de ce Tour sera samedi prochain dans le contre-la-montre d'Albi, et le second, décisif, le lundi 23 dans la première des deux grandes étapes pyrénéennes.

RIEN DE NEUF - J'en ai vu qui ont sursauté quand j'ai dit qu'il ne s'était encore rien passé. Il s'est passé Cancellara, rien d'autre. Cancellara qui gagne le prologue, Cancellara qui gagne deux jours plus tard à Compiègne, Cancellara qui garde le maillot jaune sept jours, cela veux dire que son équipe (CSC) et celle des sprinters ont réussi à étouffer toutes les échappées. Ça fait une semaine assez platte quand tu ne tripes pas sur les sprinters, d'autant plus que le meilleur, Robbie McEwen, est blessé.

Remarquez: ce n'est pas particulier à ce Tour, il ne se passe jamais rien la première semaine.

BERNARD ET SON MAILLOT À POIS - Si ça m'embête de ne pas être au Tour cette année? Pas vraiment. Je vous ai dit un million de fois quelle job de fou c'était. Autre bonne raison de n'avoir aucun regret, l'autre jour, chez des amis, j'écoutais un bout d'une l'étape à Canal Évasion et, quel bonheur! je suis tombé sur Bernard Vallet, le Français qui fait des commentaires en direct.

Des Bernard Vallet, je veux dire des anciens coureurs qui radotent, y'en a plein dans l'organisation du Tour, et rien que de ne pas avoir à les côtoyer... Au fait, Vallet vous a-t-il dit qu'il avait déjà porté le maillot à pois du meileur grimpeur? Oui? Il vous l'a dit, vous êtes chanceux. Louis, mon cher Louis, si t'arrives à le lui faire dire encore trois fois d'ici la fin du Tour, je te paie à souper.

PÉTRO-DOLLARS - Bon finissons par une question sérieuse, Vinokourov attardé par sa chute, et qui rend un bon deux minutes aux autres favoris, peut-il encore gagner le Tour? Mais d'abord est-il encore le leader d'Astana?

Juste un petit rappel, l'équipe Astana, parrainée par le premier ministre du Kazakhstan, financée par les pétro-dollars du Kazakhstan, n'a été montée que pour permettre au Kazakh Alexandre Vinolourov de gagner le Tour de France. Alors oui, Vinokourov est toujours le leader de cette équipe. Même si Andreas Klöden,l'autre leader d'Astana a - et même avait avant les chutes - de bien meilleures chances de gagner le Tour que lui.

En fait Klöden pourrait gagner ce Tour un doigt dans le nez et l'autre dans le cul, mais il ne fera pas tant que Vino n'aura plus aucune chance. Klöden a touché une fortune pour aider Vino, il est peut-être même propriétaire de quelques puits de pétrole du côté d'Almaty, et il va respecter son contrat, c'est Allemand straight comme... un Allemand.

Cela ne nous dit pas si Vinokourov peut encore gagner le Tour. On ne saura rien avec les étapes alpines. On saura samedi prochain après le contre-la-montre d'Albi. Si Klöden défonce la baraque, c'est que Vino lui aura dit: vas-y.