Le dimanche 22 juillet 2007


Le poulet avec un maillot brun
Pierre Foglia, La Presse, Tour de France

Faut avoir la foi. Ou alors faut être nono, et ça ne manque pas dans le vélo, les nonos. Pas tant dans le peloton que sur le bord des routes ou devant la télévision. Le vélo est un sport de légende, et là où y a de la légende, y a du nono en masse. C'est une statistique mondiale, les deux endroits sur la planète où y a le plus de nonos: au bord des lacs et au bord des légendes.

S'cusez la digression, je disais qu'il faut avoir la foi ou qu'il faut être un sacré nono pour regarder sans éclater de rire le classement de l'étape d'hier du Tour de France, un contre-la-montre de 54km.

Rasmussen qui garde son maillot jaune, Rasmussen onzième, à moins de trois minutes du revenant Vinokourov. C'est ça qui est drôle.

On appelle Rasmussen «chicken» parce qu'il a des petites pattes de poulet faites pour grimper des cols, pas pour mettre du braquet. Rasmussen-petites-cuisses, qui est un des pires rouleurs de l'histoire du vélo, a fait mieux, hier, que des rouleurs comme Millar, Menchov, Hincapie. Plus stupéfiant, Rasmussen a presque fait jeu égal avec Leipheimer. Rasmussen n'a concédé qu'une minute à Klöden, sur 54km. C'est ça qui est drôle.

Remarquez qu'il s'en trouve plusieurs pour ne plus rire du tout des dernières drôleries du Tour de France.

La télé allemande, par exemple, qui a tiré la plogue.

Les gros sponsors que sont Adidas et Audi, qui parlent eux aussi de quitter le navire.

Hier, un quotidien suisse - Le Nouvelliste - a refusé de rendre compte de ce contre-la-montre honteux, publiant à la place un avis mortuaire: «Ci-gît le cyclisme (1790-2007)». «Le cyclisme pro est cliniquement mort», affirme son rédacteur en chef, Jean-François Fournier.

Bref, sont de plus en plus nombreux à ne plus trouver ça drôle. Remarquez que l'extraordinaire numéro de Vinokourov est presque aussi sulfureux que celui de Rasmussen, mais il passe mieux. Rasmussen, rien à faire, ça passe pas. Avec les trois étapes pyrénéennes à venir, Rasmussen pourrait très bien gagner le Tour. Et, si vous voulez mon avis, ce serait un bien plus grand scandale que Landis sous testostérone ou qu'Armstrong sous EPO. Un plus grand scandale parce qu'Armstrong comme Landis étaient de toute façon les meilleurs. Pas Rasmussen.

Par deux fois, l'actuel leader du Tour de France a reçu des avertissements, et de sa fédération et de l'UCI, pour «défaut de location». Défaut de location, en clair, ça veut dire que tu te caches pour que la brigade antidopage ne puisse pas te tomber dessus inopinément pour te contrôler. Un coureur qui se cache est à coup sûr un coureur qui est en train de se doper. Les coureurs ont l'obligation de signaler tout changement d'adresse afin qu'on puisse les localiser. C'est ce qu'a omis de faire Rasmussen à deux reprises au cours des deux dernier mois, la dernière fois une semaine avant le Tour. Un coureur qui disparaît une semaine avant le Tour, c'est un grand classique, une joke, une caricature, comme s'il te faisait un dessin de seringue.

Pour ces manquements, la Fédération danoise de cyclisme a suspendu Rasmussen, qui ne pourra participer ni aux prochains championnats du monde, ni aux Jeux olympiques.

Depuis deux ans, les dirigeants du Tour de France n'arrêtent pas de demander la collaboration des fédérations nationales pour faire le ménage en amont du Tour. N'arrêtent pas de houspiller l'UCI pour son laxisme en matière de dopage. La direction du Tour n'arrête pas de dire qu'elle sera sans pitié avec ceux qui menacent de détruire le Tour.

Bon, elle dit ça.

Et qu'est-ce qu'elle fait quand elle apprend que le coureur qui porte le maillot jaune du présent Tour est suspendu par sa fédération après quatre avertissements pour défaut de location? Hein? Que fait la direction du Tour? Elle fait une conférence de presse pour dire que c'est pas grave.

Le lendemain, le coureur en question, qui n'a jamais fait mieux qu'une 60e place dans un contre-la-montre, fait jeu égal ou presque avec les spécialistes. Que dit la direction du Tour? Je ne sais pas et je m'en crisse.

On dit que la dope est en train de tuer le Tour de France. Qu'il crève. Ça fait 15 ans que le Tour est sourd, aveugle et pute. Surtout ça: pute. Le Tour n'arrête pas depuis 15 ans d'être en état de crise, sa légende mise à mal, son mythe ridiculisé, et comment réagit-il? Il réagit la main sur le coeur: nous allons nettoyer notre cour, on ne laissera plus rien passer. C'est en cela que le Tour est une pute. Ce n'est pas le vélo qu'il essaie de sauver. C'est son cirque, l'entreprise Tour de France.

Non seulement Rasmussen est suspendu par sa fédération, mais un ex-coéquipier vient de l'accuser de trafic de produits dopants. En 2002, le Danois aurait demandé à ce coureur américain de transporter une boîte à souliers sans lui dire qu'elle contenait des produits sanguins.

Que fait le Tour?
Rien.
Pourquoi? Parce que ce serait la fin d'une business qui rapporte gros. Parce que, après l'affaire Landis l'an dernier, si le maillot jaune du Tour devait encore une fois être roulé dans la boue, alors, même pour les nonos sur le bord de la route, ou devant leur télé, mais pour les sponsors surtout, ce maillot ne sera plus jamais jaune. Il sera brun, qui est aussi, je vous le rappelle, la couleur de la merde.

ET MAINTENANT - Si le contre-la-montre d'Albi n'a pas fait véritablement de vainqueur, il a fait quelques grands perdants. Les Espagnols d'abord. Iban Mayo, c'était prévu, mais Valverde, plutôt à l'aise dans ce genre d'exercice, Valverde qui concède six minutes à Vino, c'est déroutant. Valverde out. Mayo out.

L'autre grand perdant du jour, Christophe Moreau, à 9:26 de Vino. De fringant, voire baveux dans la première étape alpine, il est passé à complètement inconsistant. Et maintenant? Pour la victoire finale restent Rasmussen, Cadel Evans, Klöden, les deux Discovery Contador et Leipheimer, et un peu plus en retrait Carlos Sastre.

Il reste surtout Vinokourov, qui, sur la forme qu'il a montrée hier, peut encore gagner. Pouvez être certain qu'il va foutre le feu dans les Pyrénées. Le Tour se joue un peu aujourd'hui, surtout demain et mardi. Ce sera les Astana contre Rasmussen.

Et Cadel Evans, qu'on oublie (c'est ce qu'il souhaite), Evans qui pourrait très bien devenir le premier Australien à gagner le Tour de France.