Le jeudi 26 juillet 2007


Il faut arrêter ce Tour
Pierre Foglia, La Presse, Tour de France

Ce n'est pas moi qui dis ça, enfin si, je le dis, mais je plagie le journal Le Monde. On était alors au coeur du tumulte de l'affaire Festina. C'était le titre de l'éditorial du Monde du 25 juillet 1998, cela fait neuf ans, jour pour jour.

Il faut arrêter ce Tour. Ils ne l'ont pas arrêté évidemment. Vous auriez dû voir avec quelle arrogance le grand boss de l'époque, Jean-Marie Leblanc, avait balayé la suggestion de nos confrères, ce n'est pas pour quelques pommes pourries... Parlant de pommes pourries, c'est Pantani qui avait gagné le Tour cette année-là. Je me souviens d'une conférence de presse la veille de l'arrivée à Paris.

M. Pantani, est-ce que vous prenez de l'EPO? Et le coureur italien avait eu cette incroyable réponse mais qui résume toute la culture du vélo: cela ne vous regarde pas!

Depuis Pantani est mort. Neuf ans d'affaires, de scandales, de trafics, d'arrestations, d'aveux et cela malgré l'omerta imposée par Lance Armstrong. Neuf ans de merde pour arriver à plus de merde encore, pour arriver au Tour de l'an dernier où Ullrich, Basso et l'équipe Astana ont été empêchés de partir. Le Tour de l'an dernier toujours sans vainqueur.

Pour arriver enfin à ce Tour 2007, qui aura, lui, un vainqueur, mais complètement dévalué, quel qu'il soit. Il faut arrêter ce Tour.

Pourquoi?
Parce que cette course n'a plus aucun intérêt. Plus personne n'y croit. Mais surtout parce que le peloton des coureurs professionnels européens doit être saisi, doit être frappé de l'urgence de choisir.

Choisir quoi?
Choisir de pratiquer un sport. Ou choisir de donner un spectacle.

Le sport est régi par des règles, les mêmes pour tout le monde, ces règles ont pour but d'assurer l'incertitude du résultat. Dans le vélo professionnel, les coureurs ont décidé il y a bien longtemps qu'il n'y aurait plus de règles parce qu'il était trop difficile de vérifier qui les respectaient et qui ne les respectaient pas.

Depuis neuf ans (bien plus longtemps en fait), la règle dans le cyclisme professionnel, c'est qu'il n'y a plus de règle. Chacun fait ce qu'il veut. Curieusement, cela n'a pas donné de si mauvais résultats, je veux dire, les sept victoires d'Armstrong, c'était du sport, la victoire de Landis l'an dernier, c'était aussi du sport. Mais là, ça ne marche plus. Trop de dérives. Trop de n'importe quoi. On n'y croit plus. Surtout: le peloton lui-même n'y croit plus. Depuis le contre-la-montre d'Albi, le peloton sait que Rasmussen a dépassé la règle même s'il n'y a pas de règle. Le peloton sait que cette fois le ressort est cassé.

Il faut arrêter ce Tour. Que les coureurs se parlent à huis clos. Et décident quelles règles communes ils sont prêts à respecter, même si ce sera difficile de vérifier qui les respectent ou pas. Même si cela prendra un certain temps avant que le dopé devienne l'exception plutôt que la règle.

Ou alors qu'ils décident de donner un show. Comme un cirque. Comme la Formule 1. Les gens adorent ça la Formule 1. Ça ne les dérange pas que ce soit toujours la victoire du fric. Du plus gros moteur. Au contraire.

D'ailleurs la dope et le fric sont en train de faire ressembler les courses de vélo à de la Formule 1. Ça va trop vite sur le plat. Quand le peloton va trop vite, il ne peut pas y avoir de course, les échappés s'échappent seulement pour aller montrer leur maillot (et le nom de leur commanditaire) à la télé. Ce n'est presque plus du sport. La première semaine, le Tour c'est juste un show avec des pubs.

Il faut arrêter ce Tour, laisser le temps à tout le monde de réfléchir.

Mais, bien sûr, ce Tour ne s'arrêtera pas. Pas plus qu'en 1998. Pourquoi? Parce que, justement, «the show must go on». Parce que si on arrête un an, deux ans, qui sait si le public reviendra, mais surtout qui sait si les commanditaires reviendront.

La direction du Tour n'en a rien à foutre de la question que pose ce texte. On n'en a rien à foutre, monsieur le journaliste, que le cyclisme redevienne un sport régi par des règles communes ou devienne un spectacle, un cirque. Tout ce qui nous importe, monsieur le journaliste, c'est que cela reste une business.

Je n'ai appris le renvoi de Rasmussen dans ses foyers que tard dans la soirée. Pour tout vous dire, je suis allé rouler toute l'après-midi. Ma plus belle sortie de l'été. Des petites routes glorieusement ensoleillées à travers une campagne faussement délabrée, ce faux air de gueuserie qu'a parfois le Vermont dans ses détours. Je suis rentré au déclin du jour, apaisé, heureux.

Le bureau a appelé, m'a dit ma fiancée. C'est urgent.

J'ai tout de suite deviné que le ciel était tombé sur le Tour. Et j'ai tout de suite pensé à tous les nonos qui vont dire aujourd'hui que le vélo c'est fini.

Mais non! Si vous êtes gentil, un jour, je vous emmènerai pédaler jusqu'au sous-bois où gargouille ce ruisseau où, cet après-midi, j'ai trempé ma casquette. Vous verrez, le vélo est de toute éternité.