Le mardi 8 janvier 2008


Mensonges et autres réalités
Pierre Foglia, La Presse

Je dis tout de suite en manière d’avertissement que je n’ai jamais écrit une ligne sur les Lavigueur, ce que les archives confirmeront à ceux qui voudront vérifier : aucun article de votre serviteur sur aucun membre de cette auguste famille. Ici, je ne me défends donc de rien. Je ne défends pas non plus une confrérie dont je me sens plus ou moins partie. Fin de l’avertissement.

Parlons maintenant de cette constance dans ma carrière : le mensonge. Pas celui que moi, journaliste, je ne vous ai pas fait. Le contraire : celui que vous, lecteurs, vous de toutes les classes sociales, de toutes les professions, vous politiciens, artistes, sportifs, gens ordinaires, vous les Lavigueur du quotidien, mon sujet préféré, m’avez si souvent fait quand je suis allé vous rencontrer.

Assez tôt dans ma carrière, j’ai été sidéré par votre propension au mensonge. Mensonges de famille, justement. Petits mensonges pour en cacher de plus gros. Pures inventions. Enjolivements et enjolivures. Pourquoi cette vieille dame m’a-t-elle raconté qu’elle allait tous les ans à Venise où j’ai fini par apprendre qu’elle n’avait jamais mis les pieds ? Pourquoi cette autre m’a-t-elle dit qu’elle était veuve d’un médecin quand c’était d’un vendeur de chez Dupuis Frères ? Je pose la question pour la forme bien sûr, j’ai toujours su pourquoi.

Parce que je suis journaliste. Comme journaliste, j’ai le pouvoir de faire de vos mensonges des vraies histoires. Dès lors qu’ils sont écrits et imprimés noir sur blanc, vos mensonges deviennent vrais, au point où vous pouvez vous-mêmes y croire.

Mais mémé, grand-père n’a jamais été médecin, il a travaillé toute sa vie chez Dupuis.

La mémé est allée chercher ma chronique toute jaunie : tu vois, c’est écrit.

Ainsi l’histoire des Lavigueur va devenir la vraie histoire des Lavigueur à partir de ce soir pour la seule et unique raison qu’on va vous la raconter.

Ce n’était pas nécessaire d’en faire la promotion sur le dos des médias. La version qu’on vous présente ce soir ne sera pas vraie parce que celle des médias de l’époque était fausse, elle sera vraie comme celle des médias était vraie à l’époque.

La version que vous verrez ce soir est entièrement adaptée d’un livre écrit pas un des fils Lavigueur. Un livre écrit en toute objectivité, bien entendu, par une des principales victimes du cirque médiatique dénoncé.

Trêve de persiflage, permettez que je vous envoie chier, messieurs les auteurs de cette vérité vraie ? Vous êtes les premiers cette année, je vous félicite.

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COMPTABILITÉ – Mon sketch préféré du Bye Bye de RBO ? La pub des moutons. Je sais bien que préférant une pub, j’ai l’air de lever le nez sur le contenu, mais vous vous trompez, j’ai beaucoup aimé ce Bye Bye, particulièrement Madame Marois – la nonne inclusive –, Ron Fournier, le Banquier, Denise Bombardier, France Bédouin, Roméo Dailleurs, presque tout en fait. Le délire de RBO n’a rien perdu de sa pertinence, au contraire, il nous fait apparaître bien domestique, bien dépassé l’humour des nouveaux petits comiques du jour.

Mais la pub des moutons – qui est revenue trois ou quatre fois durant ce Bye Bye – m’a soufflé. Une pub pour des comptables en plus ! Moment de pure créativité au service d’une pratique – la comptabilité – qui en est tellement dépourvue. Dieu sait que les chiffres sont lourds, surtout chez le comptable. Le petit coup de génie, ici, a été de les faire sauter, hop là, dans une sarabande déjantée d’adorables moutons qui s’entrecroisent, 225 moins 34 plus 445 pour arriver évidemment, à la fin, à 2008 moutons. Bravo. C’est à cette seule condition – quand elle parvient à transgresser son mensonge d’un soupçon de génie – que la pub cesse d’être totalement pute.

Pour revenir au Bye Bye, quelques numéros plus ordinaires bien sûr, et une fausse note : Claude Dubois. Je n’ai aucune sympathie pour le personnage, mais il y avait moyen de déconner sans insister lourdement sur les couches pleines, la scato n’est jamais drôle, jamais.

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PREMIER FOU RIRE DE L’ANNÉE – Photo pleine page de Mme Françoise Kayler dans une revue d’hôtellerie, Mme Kayler qui a été critique gastronomique à La Presse pendant 223 ans – à la retraite définitive depuis le mois de juin –, Mme Kayler donc, est une des plus belles femmes que j’ai connues. Sur cette photo en particulier. À l’envers de toutes les tendances, je la soupçonne de se faire rajouter des rides, je l’ai appelée pour la féliciter :

Hé hé, mère Kayler, bonne année. Je viens de voir votre photo dans une revue, je vous l’ai dit 100 fois par le passé, je vous le redis : vous êtes magnifique. Encore plus aujourd’hui. Jeune, vous n’étiez qu’une belle grande plante un peu lisse, vieille vous voilà avec du caractère, ça valait la peine d’attendre, je trouve.

Le fou rire m’est venu plus tard, je dirais, comme toujours, par un soudain excès de surréalisme. Elle me racontait qu’elle tenait un blogue depuis l’automne. Un blogue ? Vous ? Je vous voyais plutôt écrire vos mémoires à la plume. Un blogue ? Et ça marche ?

Pas vraiment...

Ah tiens ! De quoi donc parlez-vous ?

Attendez, ma dernière intervention parlait de 2008 qui sera l’année internationale de la pomme de terre !

Fouille-moi pourquoi j’ai ri aux larmes. Je vous embrasse, vieille Chose.

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MON VŒU POUR 2008 – Mettons que je mourrais cette année et donc que j’aurais ma photo dans la page des disparus à la fin de l’année. Serait-ce beaucoup demander de ne pas en faire un jeu débile pour l’amusement des lecteurs, comme mon journal l’a fait pour les morts de cette année, en ajoutant un petit numéro dans leurs photos que les lecteurs devaient associer à un nom, avant d’aller vérifier au bas de la page s’ils avaient la bonne réponse, dans la liste, à l’envers.

Remarquez que je ne veux pas vous empêcher de jouer à quoi que ce soit parce que je serais mort, mais bon, plutôt qu’avec ma dépouille, pourquoi pas à picabou avec votre petit dernier ?