Le jeudi 10 janvier 2008


Une non-histoire
Pierre Foglia, La Presse

Le 10 décembre dernier Mme Maria Angelica Sertzen Mathews s’est rendue à l’ambassade canadienne du Pérou à Lima pour faire une demande de visa afin d’aller passer les fêtes de fin d’année, et tout le mois de janvier, chez des amis à Montréal.

Mme Sertzen était l’invitée de la LNI, la Ligue nationale d’improvisation, plus exactement l’invitée de M. Yvon Leduc, cofondateur (avec feu Robert Gravel) de la LNI. La LNI tient depuis deux ans des représentations d’improvisation théâtrale à l’Université Catolica de Lima où travaille Mme Sertzen. Des liens d’amitié et de travail se sont créés.

Pourquoi ne viendriez-vous pas passer les Fêtes à Montréal?

Pourquoi pas, a dit Maria Angelica.

D’où cette lettre officielle à l’intention des autorités consulaires du Canada à Lima : nous invitons Mme Sertzen à venir nous rencontrer pour discuter de différents projets, mais nous l’invitons surtout par amitié, stipulait honnêtement l’invitation. Bien entendu nous prendrons en charge ses frais de séjour. C’était signé Yvon Leduc pour la LNI.

Mme Sertzen se présente donc le 10 décembre à l’ambassade canadienne avec son passeport, des photos, la lettre d’invitation de la LNI, une attestation de l’Université Catolica qu’elle travaille bien là depuis six ans, un relevé de ses états financiers, notamment combien elle a investi dans les «fondos mutuos», une preuve certifiée qu’elle est copropriétaire de la maison où elle habite, un double de sa réservation qui indique sa date de retour, et 220 soles (75$), le tarif pour les frais de «traitement de dossier».

Réponse dans cinq jours lui dit-on, 10 maximum. Elle reçoit un courriel de l’ambassade 17 jours plus tard, le 27. Tiens toé! Tu te voyais peut-être passer Noël à Montréal? L’examen de votre dossier est complété, disait le courriel, présentez-vous à l’ambassade.

Je laisse Mme Sertzen raconter la suite.

J’ai d’abord fait la queue à l’extérieur de l’ambassade. Attente. Attente. Attente. Une jeune femme vient nous ordonner de fermer nos portables, mais de les garder à la main avec une preuve d’identité. Nouvelle attente. On entre enfin. À la porte on nous confisque nos portables. On se retrouve alors dans une grande salle avec des chaises rouges. Mais on fait toujours la queue, debout. Attente encore. Au bout d’un bon moment, on nous permet de nous asseoir sur les chaises rouges. Puis une voix dans un micro nous dit de nous présenter à la porte 3 à l’appel de notre nom.

C’est mon tour. La porte 3 donne sur une petite pièce. Dans cette pièce, un guichet vitré. Derrière la vitre du guichet, une femme. Je dépose ma carte d’identité dans le tiroir tournant au bas du guichet. La femme me dit qu’elle va me rendre tous mes documents parce que ma demande de visa a été refusée.

Je lui demande pourquoi.

Elle me répond que c’est expliqué sur le formulaire qu’elle joint à mes documents. Elle tourne le tiroir vers moi.

Je me saisis de la circulaire, je lis le motif du refus. Motif : Vous ne m’avez pas convaincu que vous quitteriez le Canada à la fin de votre séjour si vous étiez autorisée à y séjourner.

Comment aurais-je pu convaincre qui que ce soit sans avoir jamais parlé à personne?

La dame derrière la vitre ne répond pas.

Qu’est-ce que je peux faire maintenant?

Lisez le formulaire, dit la dame.

C’est alors que je m’aperçois que ce refus s’accompagne d’une interdiction de refaire une demande de visa avant deux ans.

Je me sens humiliée. Triste. Fâchée. Des gens qui ne me connaissent pas viennent de me traiter de menteuse.

IIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII

Notons avant toute chose qu’aucune faute ni aucun abus n’ont été commis ici. Dans cette non-histoire, les agents d’immigration ont agi en totale conformité avec le Règlement et avec la Loi canadienne sur l’immigration.

Vous ne vous en souvenez sûrement pas, mais cette histoire, enfin pas exactement celle-ci, mais la même quand même, je l’ai déjà racontée 20, 30, peut-être 50 fois dans cette chronique. Et c’est toujours la même histoire de stricte application de la Loi de l’Immigration, la même histoire d’agents de l’immigration qui font leur travail, rien que leur travail, et se conduisent néanmoins comme des trous d’cul parce que la loi et le règlement les autorisent et même les encouragent à se conduire comme des trous d’cul, ce qu’ils font avec zèle et diligence parce qu’au fond, ce sont effectivement des trous d’cul.

Toujours la même histoire du plussssse beau pays du monde qui, dans ses ambassades, montre les vraies limites de ses nombreuses chartes de droits : de ce côté-ci de la vitre pare-balles du guichet, tous Canadiens quels que soient le sexe, la couleur de la peau, la religion, l’origine ethnique. De l’autre côté de la vitre, tous des bougnoules et des putains de menteurs.

Parce que vous, monsieur le chroniqueur, vous laisseriez entrer n’importe qui?

Non. Mais je ne traiterais pas les gens de menteurs sans preuve. Je ne traiterais pas de menteuse une dame qui ne m’a pas donné la plus petite raison de penser qu’elle ne disait pas la vérité. Et si j’avais malgré tout un doute, je me tournerais alors vers le répondant canadien : oublie pas bonhomme, t’es responsable.

Mais surtout, si j’en avais le pouvoir, avant tout chose, je commencerais par demander au personnel de toutes les ambassades canadiennes dans le monde de cesser de se conduire en assiégés, en connards de zouaves qui défendent l’entrée du paradis. Je leur demanderais un peu plus de modestie nationale. Je leur demanderais de ne pas fédérer leurs visiteurs en troupeaux et de ne pas japper après. Je leur demanderais de payer le café, de sourire, de moins s’agiter du drapeau, bref, d’être des Citoyens canadiens, mais en mettant bien la majuscule à Citoyen.