Le jeudi 17 janvier 2008


La mort encore
Pierre Foglia, La Presse

Ils revenaient de Moncton où ils étaient allés disputer un match de basket. Encore deux ou trois kilomètres et le minibus les aurait laissés un par un à leur porte, ils seraient rentrés dans leur maison endormie, de l'étage la voix ensommeillée de leur père aurait demandé: vous avez gagné? Puis la voix de leur mère: y'a de la tarte au citron dans le frigo.

Le plus pétrifiant, c'est leur âge. 17 ans, 17 ans, 17 ans, 17 ans, 17 ans, 16 ans, 15 ans. Cet âge où l'on est pourtant immortel. S'en prendre à Dieu? Au diable? Au basketball? Surtout pas à Dieu. Dans ces grands malheurs-là, je ne vois personne d'autre que Dieu pour aider un peu. Même s'il n'existe pas, il sera toujours plus réconfortant que les psys qui existent trop.

Avez-vous noté comme moi que les psys arrivent maintenant bien avant les curés dans l'immédiateté des tragédies? Du même souffle qu'on nous annonçait la mort de ces sept jeunes gens (et de la femme de leur entraîneur), on ajoutait que des thérapeutes spécialisés dans la gestion du deuil étaient déjà sur place, prêts à dispenser leurs «morticolories» aux familles et aux camarades des victimes. On s'étonnera peut-être que ce soit un athée qui regrette les curés, c'est que corbeaux pour corbeaux, je préfère encore ceux qui croient à ceux qui croassent.

Je retiens de cette tragédie une photo, magnifique. Elle montre un panneau de basketball qui a été dressé sur les lieux de l'accident par les amis des victimes. Ils sont quatre à en porter un cinquième sur leurs épaules, celui-là brandit un bouquet qu'il va essayer de faire tenir dans le filet. Comme un doigt d'honneur à la mort mais au lieu d'un doigt, c'est un bouquet de fleurs.

LE MINIMUM- Je me suis éloigné du cinéma pendant 30 ans ou presque, sans raison, et soudainement en 2007, sans raison non plus, j'ai vu plus de 100 films. Ne craignez rien, je n'en ferai pas la liste, d'ailleurs je ne m'en souviens plus, pour la plupart des films moyens sans histoire ou plutôt le contraire, des films moyens qui racontent une histoire que j'oublie aussitôt, histoires réalistes et convenues qui ne revendiquent aucune singularité mais qui font la job comme on dit: me distraire. Me distraire de quoi? Essentiellement de moi-même.

Les plus intéressants sont les films ratés, les films mal foutus, le réalisateur avait une idée, il n'a pas réussi à la développer, mais on voit bien où il voulait aller. J'en ai vu un comme ça hier soir - The Proof avec Gwyneth Paltrow - et justement, parlant de cette assez formidable actrice, ce qui frappe le plus quand on revient au cinéma après 30 ans d'absence, c'est ça: le jeu des comédiens. Mille fois plus juste que dans mon temps. Dans cette centaine de films, vides pour la plupart, que je viens de voir, il y a toujours au moins ça: le formidable travail des comédiens. Même les enfants ne sont pas mauvais, dieu sait qu'ils l'étaient dans mon temps.

Mais je m'éloigne, j'avais à dire que revenant au cinéma après 30 ans d'absence, ce qui me frappe, c'est combien il est bien servi par ses artisans, comédiens surtout, techniciens, et à quel point, néanmoins, il est vide. À quel point il ne fait que raconter et raconter encore des putains d'histoires à la con.

De temps en temps, tu tombes sur 4 mois, 3 semaines et deux jours, ou sur La vie des autres et tu dis wow! Mais tu te calmes aussitôt le pompon. Wow? Pas tant wow que ça. C'est bon, très très bon, mais allez-vous hurler si je vous dis que c'est «le minimum» ? Que cela devrait toujours être au moins de ce niveau-là, sinon pourquoi mettre 20 millions dans un film? Pourquoi refaire 3h10 pour Yuma que j'ai vu quand j'avais 16 ans, il y a exactement 50 ans, et que je viens de revoir dans sa version Russell Crowe avec l'impression d'être revenu à mon point de départ. Moi qui croyais bêtement que les choses avaient avancé.

PATATE, CHOU-FLEUR - On était quatre adultes et un enfant qui mange comme un adulte, ça a coûté 57$. Cuisine indienne. J'ai commandé n'importe quoi. Quand je vais manger indien, c'est d'abord pour m'empiffrer de pain nan, boursouflé autour, moelleux partout, légèrement huileux. Je capote sur le pain nan, celui-là, parfait, fumait encore quand je l'ai cassé en me brûlant les doigts. On m'a servi un bol avec du chou-fleur et une patate, je vous assure, du chou-fleur et une patate dans une sauce rouge, mais j'ai su avant même d'y goûter que ce serait é-coeu-rant, et bien sûr ça l'était. Comment pouvais-je être sûr d'avance? Parce que sans être spécialiste de la cuisine indienne, je connais leur grand truc: plus ça a l'air ordinaire, meilleur c'est. Ils le font exprès. Ils font exprès pour que ça ait l'air d'une sploutche de matante qui ne sait pas cuisiner. Pis après t'es là à te lécher les doigts en te disant merde, c'est pourtant rien que du chou-fleur et une patate dans de la sauce rouge. Comment ils font pour que ce soit aussi bon que, mettons, du jarret d'agneau au romarin?

Il s'agit du restaurant Malhi rue Jarry coin Wiseman, vous le connaissez sans doute, en tout cas tous les journaux de Montréal en ont parlé au moins une fois au cours de ces dernières années, leurs critiques sont encadrées à côté de la caisse en entrant. Je n'en parle pas pour ajouter mon compliment, j'en parle ici pour une seule raison: pour dire qu'on n'y parle pratiquement pas français et que je n'en ai vraiment rien à foutre.

LÀ TEMPÊTE S'EN VIENT - Lundi, elle a annoncé qu'il allait neiger vendredi. Ai-je dit annoncé? Excusez, elle n'a pas annoncé qu'il allait neiger. Qu'on repasse le bulletin si on ne me croit pas, elle frétillait, elle exultait à l'idée qu'il allait neiger, elle triomphait comme si c'était grâce à elle qu'il allait neiger, un triomphe teinté de ressentiment: vous allez y goûter, mes tabarnaks.

La neige, ça va, madame Chose, devinez c'est quoi qui nous fait chier.