Le samedi 19 janvier 2008


L’assouvissement
Pierre Foglia, La Presse

D’après vous, la récession, c’est parce que les gens consomment moins ? Ou les gens consomment moins parce que la récession ? L’aggravant ainsi ? De toute façon, vous êtes d’accord : consommer est la bonne façon de combattre la récession ?

Soit. Je veux bien aller m’acheter quelque chose. Mais quoi ?

Je n’ai pas besoin d’auto, j’en ai une, la plus petite qu’on puisse trouver sur le marché, mais c’est assez. Je n’ai pas besoin de TV, celle qui est dans mon salon doit bien avoir 20 ans mais elle fonctionne encore très bien. Je n’ai certainement pas besoin de meubles même si mon sofa est fatigué, il m’a été donné par des amis qui allaient le mettre au trottoir.

Je n’ai certainement pas besoin d’un iPhone, j’ai déjà un iPod et j’ai aussi le téléphone, voyez j’ai le téléphone, je ne suis pas si archaïque. Je n’ai pas un vélo, mais deux, certes ils ne sont pas en carbone, et ils ont plus de 20 ans eux aussi, mais roulent parfaitement. Je n’ai pas besoin de cinéma maison, je regarde les films que je loue sur mon laptop (celui de La Presse, en fait). Je n’ai pas besoin de tracteur, je sors mon bois à la brouette. Je n’ai pas besoin de souffleuse, j’ai des bras. Je n’ai pas besoin de piscine, je ne sais pas nager, bref je n’ai besoin de rien, et ma fiancée non plus. Je peux vérifier si vous voulez :
Fiancée, as-tu besoin de quelque chose ?
Pourquoi ? Tu sors ? Rapporte du lait.
Bon, OK, on a besoin de lait.

Le système qui régit le monde, y compris la Chine soi-disant communiste, est une machine à créer des besoins et à les satisfaire. Pour que ça marche il faut que le bébé tète tout le temps, il faut que le bébé soit insatiable, il faut qu’il trépigne, j’en veux, j’en veux. Il faut qu’il ait toujours envie de. Je ne comprends pas pourquoi on a appelé ce système le libéralisme, il n’y a rien de libéral là-dedans. On aurait dû appeler cela l’assouvissement. C’est ce que c’est, de l’assouvissement.

Un truc que je ne comprends pas du système. Plusieurs en fait, mais celui-là surtout.

Le bon fonctionnement du système dépend essentiellement de la consommation. Or le système n’a de cesse de réduire le pouvoir d’achat du citoyen et d’augmenter sa dette, ce qui l’empêche parfois de consommer. D’où, parfois, la récession. Non, non, ne m’expliquez surtout pas, j’en parle pour parler, ce n’est pas vraiment ce qui m’allume.

Ce qui m’allume, c’est une autre contradiction, culturelle celle-là. Ce qui m’allume, c’est que le bébé pour se construire, pour grandir, devrait normalement être sevré. Or, on vient de le voir, dès qu’il cesse de téter, c’est le marasme.

Dit autrement, la démarche d’émancipation du citoyen, le geste de construction de soi qu’il pose en cessant de téter, en assumant son sevrage, en se souciant moins d’avoir, ce geste de souveraineté de soi, rend le système malade. C’est quand même flyé : ce qui grandit l’individu, fuck le corps social.

Drôle de système, non ?

MONIQUE –Vous ai-je déjà dit que ma première amoureuse, celle avec qui, enfin bon, était rousse ? Le seul vrai truc qu’ont découvert les psys (avec l’aide de Freud, tout de même) c’est que tout se fixe, tout s’imprime à jamais quand on est petit, après on ne fait plus que creuser nos sillons, c’est ainsi que j’ai capoté sur les rousses toute ma vie, et même parfois, j’avoue, sur les roux, c’est vous dire mon émotion lorsque, l’autre midi, voyant passer un couple de coyotes au bout de mon champ, et m’emparant des jumelles pour les observer, je découvris, non ! c’est pas vrai ! , je rêve ! , je découvris que la coyote était rousse. J’en fis part aussitôt à ma fiancée.

Elle est rousse ! La coyote est rousse !

Du calme ! Comment sais-tu que c’est la coyote ? C’est peut-être le coyote...

J’ai appelé mon collègue Pierre Gingras, sûr qu’il allait confirmer que seules les femelles étaient rousses, ce qu’il n’a pas fait : « Je devrais vérifier dans mes livres, mais figure-toi que j’ai imprudemment passé ces livres à un de tes collègues chroniqueur, fort négligent au demeurant, qui ne me les a jamais remis. »

Anyway. C’est la femelle je suis sûr. Elle ondule du bassin comme ma première amoureuse qui s’appelait Monique en passant, mais que tout le monde appelait la rouquine, elle était encarteuse à l’imprimerie où j’étais typographe.

J’aimerais tant qu’elle me garde un louveteau de sa prochaine nichée – ben non pas Monique, nono, la coyote, Monique avait deux ou trois ans de plus que moi, alors tu penses si sa dernière nichée remonte à loin. Au fait, les rouquines gardent-elles leur peau de lait et leurs picots jusqu’à la fin ? Ta grand-mère est rousse ? Demande-lui donc.

BORÉAL – Pour revenir à la tempête qui n’a pas eu lieu, lalalèreu, il se trouve des gens pour m’avoir trouvé méchant avec la météorologue, je crois qu’ils ne savent pas ce qu’est la méchanceté. Au-delà de la météorologie, ce qui me tape très énormément c’est ce discours boréal en forme de sacerdoce qui tient qu’on devrait retirer leur passeport canadien à tous ces culs gelés qui se désolent des tempêtes... wow ! Ça ne me désole pas tant que cela qu’il neige, ça me désole moins que, je ne sais pas moi, moins qu’une toune de Tricot Machine, moins qu’une autre émission avec Martin Picard.

Autre écho de mon courrier, j’ai fâché beaucoup de lecteurs, et ils n’ont peut-être pas complètement tort, quand j’ai dit à propos de ce resto indien qu’on n’y parlait pas français et que j’en avais rien à foutre. Je m’en expliquerai une autre fois, pour l’heure, rideau, ou comme le dit plus sombrement Patrice Desbiens dans son dernier recueil, et la nuit du Nord / descend comme un rideau déchiré / sur des figurants / qui n’ont plus de figure.