Le mardi 22 janvier 2008


La langue est une pomme
Pierre Foglia, La Presse

Je serais un foutu menteur si je vous disais que la phrase m’a échappé, au contraire j’ai tout calculé pour qu’elle vous frappe en plein front, vous laissant croire à une gentillette critique culinaire de cet excellent restaurant indien de la rue Jarry, avant de conclure très vite et brutalement (on pourrait dire en dérapage contrôlé) qu’on y parlait très peu français et que je n’en avais vraiment rien à foutre.

Gros effet dans les chaumières que ce rien à foutre. Je réitère : j’en ai rien à foutre qu’on parle plus ou moins français dans les commerces de Parc-Extension et dans les ruelles du Quartier chinois.

Par contre, je n’en ai pas rien à foutre de la langue française. J’y tiens très énormément. Elle m’a fait. J’ai coutume de dire que je suis, pour un tiers, héritage de la chrétienté, un autre tiers de vieille Italie, le dernier tiers tout de langue française. Comment pourrais-je n’avoir rien à foutre de la langue française?

Cherchez l’erreur?

Il n’y a pas d’erreur. C’est seulement que vous et moi ne voyons pas venir le danger du même côté. Pour moi, la langue française est, par exemple, cent fois plus fragilisée par le charabia que parlent et écrivent les institutrices formées aujourd’hui dans nos universités. La langue est une pomme, le ver est dedans ou n’est pas dedans, les langues meurent d’être pourries à l’intérieur, les langues ne meurent pas, ne meurent jamais d’un surnombre de Bulgares, d’Arabes, de Pakis, de petits cons de Flin Flon, Manitoba, qui ne la parlent pas.

Les langues meurent d’abord d’être mal enseignées, mal transmises, à l’école, à la maison, dans la littérature, dans toujours plus de chansons à la con, ton arrière-arrière-grand-père gnagnagna. Les langues meurent de ne plus servir à lire, à écrire, à penser, à contester, à philosopher, à créer, à respirer, à vivre.

M. Foglia, se plaint une lectrice que ce rien à foutre a outrée, M. Foglia gagne sa vie grâce à la langue française. C’est exactement ça, madame. Vous avez tout compris. Ou plutôt rien. Quand une langue ne sert plus qu’à gagner sa vie, elle crève.

Un dernier truc à propos du resto, la langue des patrons n’est pas le hindi, mais le ourdou. Quand ta langue est le ourdou, apprendre le français est encore plus difficile que pour un joueur de hockey finlandais.

Mais, et j’aurais dû commencer mon papier par là, parce qu’au fond, c’est la vraie morale de cette histoire, les patrons ont deux gamines dont la langue maternelle est le ourdou, deux petites ourdoudounes donc, qui parlent très bien français.

C’est ce que m’assurent des clients, dont Martine Chiquette : elles font le service les fins de semaine, elles parlent très bien français, et même le parlent entre elles.

Là, vous êtes rassurés?

FOOT — Le football, c’était Bob, appeler Bob pendant la game, l’obstiner, me faire dire, vois-tu, vieux plat de spaghettini, ce sport-là au contraire de ceux que tu apprécies, demande quelque réflexion, mais en es-tu capable?

Bob est parti voilà bientôt 10 ans et mon intérêt pour le football – dont j’étais un amateur plus enthousiaste qu’éclairé, Bob avait raison –, mon intérêt s’est évanoui petit à petit.

Cela ne m’a pas empêché de regarder les deux matches dimanche après-midi, et de me réjouir, ô combien, de la victoire des Giants de New York que personne, absolument personne, ne voulait voir gagner, c’est bien pour ça que moi, si, je voulais. Je n’étais plus capable d’entendre dire que les Packers étaient plus habitués au froid (comme si New York était en Afrique), je n’étais plus capable les portraits avec auréole de Brett Favre. Pour revenir au football, je n’étais plus capable de cette unanimité contre les Giants, je ne vois pas comment on pouvait négliger tant que cela une équipe qui venait d’ébranler les Patriots avant d’aller battre Tampa et Dallas. Mais surtout Brett Favre. Vous en avez fait une statue et c’est sa statue qui a joué, les deux pieds dans le ciment.

Qui gagnera le Super Bowl? Ah! ça, demandez-le à vos experts préférés en vous rappelant tout de même qu’ils ont donné les Giants perdants devant Tampa Bay, devant Dallas et devant Green Bay.

LECTURES — Mon journal, dimanche, cahier lectures, page 9, un article sur un écrivain que je ne connais pas. Cet écrivain parlant d’un aspect de sa dernière œuvre : j’ai voulu illustrer la mentalité des baby-boomers, cette génération contente d’être contente.

Enfin! Enfin je me reconnais dans un portrait qu’on fait des boomers. Content d’être content! C’est tout à fait moi, ça. Jovial. Aimant la vie. Un rien me ravit. Un rien m’enchante. Pour vous dire, je suis en train de lire le journal intime de Günter Grass (Pelures d’oignon). Page 80, le jeune Grass est dans un camp où il se prépare à devenir soldat, il décrit les environs du camp : de la nature où que l’on chiât.

Je vous gâte non? Le verbe chier à l’imparfait du subjonctif et en allemand, c’est pas dans une chronique de Mme Bombardier que vous trouveriez ça.

ROUSSES — Parlant de la coyote rousse qui fait son jogging au fond de mon champ, parlant de toutes les rousses en fait, qu’elles soient coyotes, renardes, chattes, irish setter, écureuils, vaches (les Hereford) ou femmes, je me demandais, samedi, si avec l’âge elles perdaient leurs picots et cette odeur de petit-lait qui, l’été surtout, les fait sentir le cottage frais. Réponse : non, les rousses ne perdent rien.

Ben d’abord, je veux bien vivre encore un petit peu.