Le jeudi 24 janvier 2008


Pour endiguer le flot?
Pierre Foglia, La Presse

Je reviens sur cette récente chronique qui racontait par le détail le parcours du combattant d’une universitaire péruvienne à l’ambassade du Canada à Lima.

Invitée à venir passer les Fêtes chez nous par des amis montréalais elle s’était vu refuser son visa. Raison officielle donnée par l’agent d’immigration : il craignait qu’elle ne s’incruste dans le plusssse meilleur pays du monde...

Une bonne nouvelle : je viens d’apprendre que l’agent d’immigration en question (peut-être à la suggestion de son supérieur) s’est ravisé et un visa de visiteur a été finalement accordé à Mme Maria Angelica Sertzen Mathews qui a pris l’avion vendredi dernier pour Montréal où elle est en ce moment. Un effet de la chronique ? Non. L’efficacité des démarches de Me Mélanie Houle, attachée politique au bureau de circonscription du chef du Bloc, M. Gilles Duceppe.

Cette chronique m’a valu une avalanche de témoignages. Au cri de moi aussi, moi aussi M. le chroniqueur, quelques dizaines de lecteurs me racontent leur mésaventure avec les autorités consulaires canadiennes à Lima, à Berne, à Berlin, à Hong Kong, à Londres, etc., des histoires toutes semblables, qui témoignent d’un malaise trop généralisé pour ne pas être voulu, entretenu, comme faisant partie d’une stratégie pour... je ne sais pas trop. Pour endiguer le flot ?

Cette réflexion de Me Françoise T, avocate à Montréal, dont la belle-mère, russe, a fini par obtenir un visa de visiteur après les refus et les péripéties qu’on devine : «les agents d’immigration, croit l’avocate, ne traitent pas de menteur le demandeur de visa quand ils lui disent Vous ne m’avez pas convaincu que vous quitteriez le Canada à la fin de votre séjour si vous étiez autorisé à y séjourner, ce qu’ils lui disent en réalité, avec subtilité, c’est plutôt ceci : ton pays est tellement merdique que quand t’auras vu le nôtre, tu ne voudras plus jamais revenir dans ta merde, c’est pour ça que je ne te donne pas de visa ».

Charles D. habite Cracovie depuis deux ans. Son épouse polonaise tient un commerce. « Nous aurions les moyens d’aller rendre visite à mes parents, à Carignan, plusieurs fois par année, mais on ne le fait pas. Trop compliqué pour le visa. Il faut partir de la maison à 1 h 30 du matin, arriver à Varsovie avant 6 h pour être sûr d’être accepté... dans la file d’attente ! Imaginez, il faut d’abord avoir le droit d’attendre ! On attend minimum quatre heures sur le trottoir devant l’ambassade.

On finit par remettre notre dossier, on nous dit alors de revenir pour une réponse vers 14 h 30. C’était en mai dernier, ma femme a eu son visa, mais en sortant de l’ambassade elle a dit O. K., je vais aller au Canada voir tes parents, mais c’est fini, je ne fais plus jamais ce cirque-là, je n’attendrai plus des heures et des heures sur le trottoir, je suis ta femme je ne suis pas une pute. Elle va accoucher en juillet, elle angoisse déjà à l’idée de retourner à l’ambassade du Canada parce qu’il faudra bien, quand même, aller montrer le bébé à ma mère. »

Émilie L. est coopérante au Pérou pour SUCO depuis deux ans. Son copain, Péruvien, travaille pour une entreprise canadienne au Pérou, bon salaire, lettre de l’entreprise qui confirme son statut, huit heures d’autobus pour se rendre à Lima : revenez demain, votre dossier n’a pas été traité.

Mais vous aviez dit aujourd’hui...

Demain.

Le lendemain, à travers la vitre la fonctionnaire nous regarde comme si on était des insectes repoussants : visa refusé. Vous ne m’avez pas convaincue que vous quitteriez le Canada à la fin de votre séjour si vous étiez autorisé à y séjourner.

Larmes. Les Fêtes gâchées. Tout cet argent perdu. Un autre huit heures d’autobus.

Mario H : « Je fais des affaires au Pérou, j’ai rencontré une fille, coup de foudre. Je l’invite à venir me voir au Canada. Visa refusé. Motif, tenez-vous bien : les liens entre vous ne sont pas assez forts ! Pardon ? De quoi je me mêle ? Finalement, notre seconde demande a été acceptée, mais depuis on a renoncé. Je vous écris du Texas où nous nous sommes installés. On est mieux acceptés au pays de mon oncle George.

(Petite parenthèse du chroniqueur : Ça a l’air pire à Lima qu’ailleurs. Hypothèse : Lima, ville plutôt grisouilleuse n’est pas la destination la plus tendance au monde, se pourrait-il qu’y envoie, en punition, les pires schtroumpfs de l’immigration canadienne ?)

Je viens de vous lire, je suis avocat, spécialisé en droit de l’immigration. Combien voulez-vous d’histoires comme celle que vous avez racontée ? La dernière qui me vient en tête : une étudiante japonaise qui a étudié en France pendant un an souhaite compléter des études universitaires en français. Pourquoi pas Montréal, se dit-elle. Elle demande un visa d’études. Refus. Raison donnée par l’agent des visas : « mademoiselle parle suffisamment français ». Il faudrait faire appel à la Cour fédérale. Des mois d’attente et des milliers de dollars. (Me Stéphane Duval).

J’ai gardé la dernière lettre pour la fin, elle est signée d’un agent d’immigration dont je tairai le nom même s’il ne m’a rien demandé. « Si je n’avais pas ce devoir de réserve que m’impose mon travail de connard-de-trou-de-cul-de-zouave-qui-défend-l’entrée-du-paradis je vous demanderais : combien de fois avez-vous mis les pieds dans un bureau de visas à l’étranger, connard de zouave de chroniqueur ? »

Qui donc, poursuit mon pourfendeur, qui donc délivre les centaines de milliers de visas d’entrée au Canada qui sont accordés chaque année ? Sûrement pas les journalistes. Ce sont les agents d’immigration, plongés dans leurs dossiers huit heures pas jour, dans des bureaux qui ressemblent plus à des usines qu’à des bureaux.

(Re-parenthèse du chroniqueur : L’enfer, quoi. New Delhi, Pékin, Manille, Hong Kong, l’enfer, vraiment ? Les avantages sociaux, les primes d’éloignement, l’enfer ?)

La lettre se termine pourtant par cet aveu : il est vrai que les demandeurs sont souvent traités avec peu de courtoisie et de considération (longue file d’attente, refus mal expliqués, décision sans entrevue, etc.)...

Bon ! Nous y voilà. Je ne vois pas pourquoi vous m’engueulez, je ne dis pas autre chose que cela : bien peu de courtoisie et de considération.

Un coup parti, peut-être pourriez-vous nous expliquer pourquoi ?