Le samedi 2 février 2008


Ôbama, Ômama, Ôlabama
Pierre Foglia, La Presse

J’aime son nom : Obama. Trois courtes syllabes qui roulent comme des petits cailloux durs et lisses. Et ce «O» en partant qui invite à l’extase : Ô-bama. Me semble que cela m’irait bien aussi : Ô-foglia.

Je sais ce que vous pensez : quand il commence un texte sur ce ton-là, c’est parce qu’il n’a rien à dire. Ce n’est pas faux, mais allez, ne vous inquiétez pas trop, on va en trouver plein des choses à dire, des petites, mais bon. Commençons par celle-ci, au comptoir de US Air, à l’aéroport de Burlington, la dame pitonne : vous n’avez pas de réservation pour aujourd’hui, monsieur...

Ben là !

Mais vous en avez une pour demain ! Elle n’a pas ajouté : hé ben pépé, on est un peu confus ? mais c’était en toutes lettres dans son sourire compatissant. Ma fiancée m’a ramené à Saint-Armand. Le lendemain matin les coyotes sont se montrés au bout du champ, il m’a semblé qu’ils agitaient des mouchoirs pour me dire au revoir. C’était un de ces matins magnifiques quand le frimas cristallise la tête des arbres dans un friselis délicat, un de ces matins où il n’y a vraiment aucune raison d’aller ailleurs. Même le douanier était de bonne humeur, vous avez des amis en Alabama ?

J’ai plein d’amis partout, monsieur.

On était huit dans l’avion qui s’est rempli à Philadelphie. À Atlanta je me suis encore fait fourrer par la compagnie de location d’autos, cette fois c’est Hertz, mais sont toutes également fripouilles, ce n’est jamais le modèle qu’on a réservé, il y a toujours un supplément pour ceci, un autre pour cela, et un troisième pour rire de toi, que faire ? Vous êtes là, empêtré dans vos bagages, votre boîte de vélo... t’en veux un char ou t’en veux pas ? Pas le choix. Pour ces gens-là je ne suis pas contre la peine de mort, celle par injection que la Cour suprême vient de suspendre parce qu’elle fait trop mal.

Atlanta est le plus grand aéroport au monde, il faut prendre le métro pour aller chercher ses bagages, comme si arrivé à Dorval tu devais aller les chercher à Longueuil, je n’exagère même pas. Je connais très bien l’aéroport d’Atlanta, j’y ai habité un mois, oui madame, au Marriott, j’y avais été consigné contre mon gré pour couvrir les Jeux olympiques de 96, chaque fois qu’un avion décollait, je décollais un peu aussi, cela me prenait trois heures et 12 pour me rendre à la finale de trampoline ; je veux qu’on écrive sur ma tombe que j’ai vécu une vie passionnante et même parfois sautillante.

Bref, j’ai casé le vélo comme j’ai pu dans le coffre de l’auto, j’ai quitté l’aéroport d’Atlanta par la 85 Sud (la même que je prenais pour aller à la finale de trampoline) et j’ai mis le cap sur l’Ôlabama.

J’aime son nom Obama. J’aime moins son prénom Barack, baraque comme cabane, c’est africain je sais bien, les prénoms sont nuls en Afrique, Mamoud ou Kipchongué, je vous demande un peu... J’avais pourtant un ami guinéen qui s’appelait Léontin, Léontin Obama ce serait bien, mais vous savez ce qui serait vraiment joli pour un président des États-Unis : Léontin Trampoline.

Sérieux, je l’aime, Obama. N’empêche qu’il fucke les perspectives. Prenez par exemple quand il dit : entre Hillary et moi, ce n’est pas un choix racial, et si je deviens le candidat démocrate, ce ne sera pas une élection raciale. Un Blanc ne pourrait pas dire un truc comme ça. Plus Obama se défend de faire campagne sur sa couleur, plus il replace sa couleur au centre de sa campagne, ce n’est d’ailleurs pas innocent. Il y avait dans le Atlanta Journal d’hier une analyse assez pointue de son discours, en particulier d’une de ses expressions favorites, Cousin Pookie, par exemple dans : I need you to grab Cousin Pookie to vote. Un Pookie en langage ghetto, c’est un nul, un beauf, un peigne-cul, ce n’est peut-être pas une élection raciale, n’empêche que Obama lance des messages subliminaux petit-nègre compris seulement des Noirs pour dire : hé, Chose, veux-tu me faire plaisir ? traîne ton peigne-cul de beauf au bureau de vote.

Depuis près de 10 ans, les Noirs ont quasiment disparu des grands débats américains – par exemple, il n’y a pas de position « noire » sur l’Irak, sur le 11 septembre – mais les voilà tout à coup très visibles à travers Obama, voilà qu’on se soucie toutes les cinq minutes de ce qu’ils pensent, de ce qu’ils veulent, de comment ils votent, au point de les croire plus nombreux qu’ils le sont en réalité, 12,8 % de la population, ah voyez, vous aussi vous pensiez qu’ils étaient beaucoup plus nombreux.

Je suis venu en Alabama avec derrière la tête cette idée des droits civiques et de Rosa Parks, de la marche de Luther King qui a commencé ici. Je n’ai même pas vérifié, pour moi l’Alabama, comme le Mississippi, la Géorgie sont des États tout noirs. Je me suis dit : je vais me promener dans le coin, les gens vont me parler d’Obama avec des sourires grands comme ça, et voilà...

Jeudi, tiens. J’étais dans cette petite ville universitaire, Auburn. Je suis allé rouler le matin à la grosse pluie. Trempé, frigorifié, la pluie redoublant, je suis entré pour m’abriter dans ce café d’un petit centre d’achat qui borde le campus. Un café d’étudiants comme dans les années 70, mêmes tables communes, mêmes fauteuils défraîchis, sauf que les étudiantes ont leur laptop ouvert sur les genoux. J’ai pris un espresso au comptoir, avec un machin aux pommes. J’ai dérangé un peu tout le monde avec mes questions, les Noirs par-ci, les Noirs par-là, et d’abord comment se fait-il que les Noirs votent très majoritairement démocrate et que l’Alabama est républicaine depuis près de 40 ans ?

Combien pensez-vous donc qu’il y a de Noirs en Alabama ? m’a lancé, avec un rien d’impatience, un employé du musée d’art moderne voisin, qui déjeunait en lisant son journal. Et de répondre lui-même : 5 millions d’habitants en Alabama, 75 % de Blancs presque aussi majoritairement républicains que les Noirs sont démocrates, voilà pourquoi l’Alabama sera encore républicain à la prochaine élection, Obama ou non.

Maintenant cette dame (blanche) à l’accueil de l’immense parc (les Callaway Gardens) où j’ai roulé mercredi : Méfiez-vous des primaires. Les primaires sont affaire d’émotion. We want emotion so badly... Quand les vraies affaires vont commencer, viendront ceux qui diront que la sécurité n’est pas affaire d’émotion, que l’économie n’est pas affaire d’émotion. Et alors nous voterons contre nos émotions. Parce que nous avons peur de nos émotions.

Le gars (blanc) du Cross-road Store où j’ai fait ma première pause barre tendre de la saison, le vélo accoté sur le banc : N’importe qui sauf Hillary, je la hais, elle et toute sa famille.

Ma télé ne marchait pas. Je vous envoie quelqu’un tout de suite, m’a dit la dame à la réception. Est arrivé un Noir, la soixantaine. Extrait de notre conversation :
– Nice guy, OK, mais Obama a-t-il les qualités qui font un président ?
– Vous trouvez que Mme Clinton a ces qualités ?
– Je déteste cette femme.
– Vous trouvez que M. Bush a ces qualités ?
– Ce Bush-là non, mais son père a été un grand président.

Phenix City, ville frontière et jumelle de Colombus (qui se trouve en Géorgie), je cherchais un resto pour manger nègre, je veux dire deep-fried, panure, bake beans, catfish (je n’ai finalement pas trouvé mon bonheur). Deux jeunes Noirs dans la rue, très amusés par mon accent et par ma question sur Obama : Hi hi hi, ho ho ho, Obama Obama, et se mettant à danser, O mama, Obama, O mama, Obama, O daddy, I’m the nigger in the alley, want some weed ?

Envoye donc. Fait longtemps.