Le jeudi 14 février 2008


Retour d’Alabama
Pierre Foglia, La Presse

Avant ce voyage, je préférais de loin Barack Obama à Mme Clinton. Pour cause que Mme Clinton est encore moins libérale que son mari qui ne l’était déjà pas tant.

Mme Clinton échappe à la catégorisation classique colombe-faucon, Mme Clinton est un crocodile comme souvent les grandes bourgeoises ; on ne s’en doute pas quand on les voit manger des petits fours, mais attendez qu’elles s’approchent du pouvoir, elles ouvrent si grand la gueule qu’on voit le fond de leur petite culotte.

Avant ce voyage en Alabama, je me disais que Mme Clinton, pas si loin des républicains sur bien des points (l’Irak, la sécurité), était cependant la mieux placée pour séduire le centre de l’électorat américain et devenir présidente des États-Unis.

Je ne suis plus aussi sûr que Mme Clinton serait le meilleur candidat pour battre les républicains. Et de un, elle affronterait en John McCain un républicain lui aussi très près du centre (immigration, environnement). Et de deux, surtout, ce voyage m’aura permis de sentir combien cette femme inspire de la méfiance.

Bref, je vous disais qu’avant ce voyage, je préférais et de loin Barack Obama ; après ce voyage, je le préfère de plus loin encore. Je le trouve assez magnifique, pour tout dire. Je ne me souviens pas d’avoir jamais employé ce mot-là – magnifique – pour un politicien, même pas pour madame David (qui ne me le permettrait pas de toute façon).

Ce qu’Obama propose aux Américains n’est pas tant un changement qu’un retour aux sources de l’Amérique, un retour au mythe originel du Nouveau Monde. Ce que dit M. Obama aux Américains, c’est hé les boys, vous rappelez-vous pourquoi on est américains ? Rappelez-vous la magie, le souffle qui ont présidé à la naissance de ce pays, rappelez-vous que vous l’avez bâti comme si vous étiez au commencement du monde. Vous étiez jeunes. Innocents. Vous étiez l’Amérique. Je suis jeune. Je suis innocent. Je suis l’Amérique.

La différence, c’est que dans le mythe originel, le Nouveau Monde se détachait essentiellement de la vieille Europe. Aujourd’hui, Obama parle, implicitement bien sûr, de se détacher de la vieille... Amérique des deux Bush, mais aussi de celle de Clinton.

Que Dieu, auquel il ne croit pas, l’entende quand même.

ALLÉLUIA – Parlant de Dieu, je n’avais jamais mesuré, comme cette fois, la place qu’il prend dans la vie quotidienne des États américains du Sud. Au lieu d’un cahier Arts et culture, les quotidiens locaux ont leur cahier Religion tous les jours de la semaine avec des manchettes comme : Dieu est-il en faveur des taxes ? Les panneaux sur les autoroutes renvoient en lettres géantes à www.Needgod.com.

Les tribunes téléphoniques des radios religieuses annoncent des débats d’une absolue trivialité, du style : les OGM sont-ils une insulte à Dieu ? Dieu et la sexualité chez les gais. Devrait-on interdire Darwin dans nos écoles ? Ce qui frappe plus encore que les propos illuminés des débatteurs : la vision utilitariste de la foi, ses applications pratiques, the matter of fact of the faith.

J’ai beau être chrétien de culture tout comme ces gens-là, ils m’apparaissent aussi exotiques dans leurs croyances que les Dowayos du Nord-Cameroun qui tiennent pour sacré le lapin de garenne. Anyway, ça leur passera avant que ça me reprenne.

INTERNET – La dame du bed (où il n’y avait pas d’ordi, pas d’accès au Net, donc) me demande ce que je fais dans la vie. Je lui dis que je suis journaliste. Pas plus que ça. Pas de détails. Le lendemain, je suis en train de lire dehors quand elle revient de son travail à la ville voisine (où elle est quincaillier), elle tient des feuilles de papier à la main qu’elle me tend :
C’est vous, ça ?
Il s’agissait de ma première chronique sur l’Alabama, traduite en anglais, fouille-moi par qui, fouille-moi sur quel site, fouille-moi pourquoi, une excellente traduction d’ailleurs. Sur une autre feuille, provenant d’un autre site, mon CV, mon âge, où je suis né, où j’ai travaillé, le genre d’articles que j’écris, avec des détails aussi précis que mon goût pour le sport, etc. Le genre d’épitaphe qu’on lit forcément avec l’impression d’être mort.

Cela m’a amusé. N’empêche, où faut-il aller se cacher ? Chez les Dowayos du Nord-Cameroun ? Pas sûr. Je vois d’ici arriver le grand chef avec son chapeau en lapin de garenne : Toi p’tit vélo Foglia ? Toi fiancé avec une fille d’Ibe’ville ?

VÉLO – Parlant de vélo, au cas où je vous en aurais donné l’idée. Pas de cyclotourisme en Alabama. Tu roules pas, avec tes sacoches, de la frontière du Tennessee à la frontière de la Floride. Auto indispensable. Se faire des parcours en boucle sur des cartes détaillées (le grand atlas rouge de DeLorme). Quelques repères : sud de Tuscaloosa (forêt nationale de Talladega). Sud de Birmingham (mais évitez Montgomery). Eufaula à la frontière de la Géorgie. Pour Auburn, allez vous renseigner, downtown, au magasin de bécyks de la rue College. Routes : souvent raboteuses, bas-côtés tiers-mondistes, papiers, sacs de plastique et autres ordures. Les côtes : gentilles. Le paysage : spécial. Les gens : vont se mettre en quatre pour vous aider si vous avez du trouble. Le trafic : civilisé, mais paraît que j’ai eu de la chance. Attention aux chiens. Préférable très tôt au printemps (maintenant) ou tard à l’automne.

BOUFFE – Ce n’est pas vrai qu’on mange mal aux États, la bouffe ordinaire y est plus que décente, y compris dans les restos à chaîne. Il leur reste à apprendre à faire du café. Au moins deux superbes bouffes, tout à fait par hasard, une au Major Grumbles, à Selma, t’sais ce genre d’endroit où même le cole slaw est écœurant ? Alors, imagine la waitress. Baked beans, catfish et pour dessert une tarte au fudge brûlante. J’y suis retourné le lendemain et là pour dessert, y’avait un pouding au pain qui baignait dans de la crème, j’ai appelé ma fiancée, tu sais ton pouding au pain, je t’ai déjà dit que c’était le meilleur au monde ? Je me suis trompé.

Une autre fois un chili et un cheeseburger dans une cafétéria à Newnan (en Géorgie) qui s’appelait le Redneck Gourmet, écoute, juste le nom ! Chili au jalapenos et cheeseburger avec bacon.

Parlant de catfish – qu’on appelle barbote chez nous – je vous ai parlé des nombreux étangs où on les élevait dans le comté de Hale. Élevage extensif assez récent. Soudainement, les éleveurs du coin se sont mis à creuser des étangs dans leurs champs pour faire de la barbote au lieu du bœuf, ou pour faire les deux en même temps. Gros coup de fric. Mais c’est fini. Devinez pourquoi. Devinez qui produit maintenant de la barbote bien meilleur marché ?

Ben oui, les Chinois.

La réaction des fermiers du comté de Hale ? À peu près la réaction qu’auraient nos acériculteurs si les Chinois inondaient le Québec de sirop d’érable.

J’aurais bien d’autres petites choses à vous conter, mais j’entends ma fiancée qui m’appelle de dehors : lâche l’Alabama, viens pelleter !

Hélas.