Le samedi 1er mars 2008


Relâche
Pierre Foglia, La Presse

Vous l’avez sans doute noté, l’actualité aussi fait relâche ; on resuçote du Mulroney, on tourne et retourne Dion sur le grill, on déterre les morts et les vieilles histoires, on découvre que Marois et Mario, des fois, ça s’écrit presque pareil, et que le Petit Prince a bien grandi.

S’il te plaît, dessine-moi un taliban.

J’aime le fond de l’air quand pas un souffle ne l’agite, j’aime quand je n’ai pas à jouer du tambour et que je peux vous parler sans crier, bonjour, ça va ? Tannés de l’hiver ? Moi aussi, mais on n’en parlera pas.

On va parler des latinos. Pourquoi les latinos n’aiment pas Obama ? me demandait ma fiancée, ce matin, en lisant le papier de mon collègue Nicolas Bérubé. On va parler de la résilience, cette redondance ; on va parler de la langue française, cette merveille ; on va parler de Maxime ; et pour finir, si vous voulez, vous me parlerez de vous.

Dans cet ordre.

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Les deux tiers des latinos qui s’apprêtent à voter aux primaires du Texas, mardi prochain, appuieront Mme Clinton. On comprend mal, chez nous, pourquoi les latinos donnent si massivement leur appui à Mme Clinton. Ils n’aiment pas les Noirs, ou quoi ? Ne sont-ils pas, eux aussi, presque nègres, je veux dire souvent victimes des mêmes préjugés qui n’en font pas des Américains comme les autres, ni même pas des immigrants comme les autres, ghettoïsés dans les villes, chassés comme des lapins aux frontières ? Alors ? Pourquoi pas Obama par solidarité de classe sociale, sinon de race ?

Mon collègue Nicolas Bérubé, qui couvre les primaires au Texas ces jours-ci, rapportait dans notre livraison de jeudi les propos d’un jeune latino qui disait ceci : « Quand j’ai annoncé à ma famille que je n’appuyais pas Mme Clinton, je me suis senti comme quelqu’un qui annonce à ses parents qu’il est gai. »

Je me suis permis une légère transposition pour fin d’éclairage. Faisons de ce jeune latino un Italo-Canadien de Montréal : « Quand j’ai annoncé à ma famille que j’allais voter pour le PQ, je me suis senti comme quelqu’un qui annonce à ses parents qu’il est gai. »

Le latino de mon collègue et mon Italo-Canadien de Montréal ont en commun d’être fils d’immigrants.

CQFD : ce qui empêche les latinos de voter comme les Nègres, c’est aussi ce qui empêche les Italo-Canadiens de voter pour le PQ : ils sont immigrants. Dans aucun pays du monde, les immigrants – sauf quelques rares intellos, artistes et originaux – ne s’agglutinent à une minorité.

RÉSILIENCE - Savez comme j’aime certains mots. Kalachnikov. Babouin. Bretelle (de soutien-gorge). Désamour. Puttana nera. Antouka. Tilleul. Savez comme j’en déteste plein d’autres aussi. Et il y a une troisième catégorie : les mots qui ne veulent absolument pas entrer dans ma tête.

Celui-ci : résilience.

Le mot ne figure même pas dans les très bons dictionnaires, comme le Littré. Résilience, le mot a été inventé par des psys, en particulier par celui-là avec un nom polonais (ou ukrainien) qui donne des conférence interminables sur l’élasticité des bébés.

Résilience, je trouve que c’est plus près de redonder, comme dans redondant, que de rebondir. Dire d’un enfant qu’il est résilient, c’est comme dire que c’est un mammifère.

De quoi il a l’air, votre petit Nicolas ?
C’est un mammifère.
Que je suis donc content pour lui.
Les psys bricolent des mots comme résilient à des fins purement commerciales, pour inventer des thérapies à des désordres qui n’existeraient pas s’ils ne leur donnaient pas un nom comme non résilient.

De quoi il a l’air, le petit Nicolas ?
C’est pas un mammifère.
Hein ! T’es pas sérieux.
Quand on était petit, le mot résilient n’existait pas. Mais le concept a toujours été là. On prenait une claque sur la gueule, on se relevait et on en mangeait une autre. Tout le monde il était résilient. On n’en parlait pas.

LA FABULEUSE LANGUE FRANÇAISE - Je suis étudiante, je travaille dans un restaurant rue Sainte-Catherine, et il y a cette fille, Nat, qui travaille avec moi. Elle essaie de finir son secondaire. L’autre samedi, la pauvre m’a parlé de son devoir de français. Elle avait l’air si déprimée, je lui ai dit montre-moi ça. C’était un texte et Nat devait en faire un compte rendu en répondant à des questions comme quels sont les arguments de l’auteur, et tout le bazar. Pauvre Nat, elle avait lu je ne sais combien de fois ce foutu texte et n’y comprenait rien.

C’est un texte de vous, M. Foglia. Un article de La Presse dans lequel vous dites que les écoles produisent des illettrés qui savent lire ; ils comprennent les mots et tout, mais le sens du discours leur échappe complètement. Ça m’a tuée. Fannie.

L’INCROYABLE LANGUE FRANÇAISE - J’ai confiance aux efforts qu’elle fournient, m’écrit la prof de maternelle de ma fille. Mon fils, lui, est en troisième année ; dans un devoir, il a écrit : J’ai entendu un homme chanter. Sa prof a corrigé en biffant le [ER] de chanter par [É]. J’ai envoyé une petite note gentille. La prof m’a répondu tout aussi gentiment : C’est moi qui me suis tromper.

Le pire, M. Foglia, c’est que je les adore ces femmes-là ; sont géniales avec mes enfants, je vous jure, elles savent comment les prendre, comment leur apprendre ; ce n’est pas rien. Je me sens tellement mal à l’aise d’être, en même temps, en furie contre elles. Mais je ne leur en parlerai pas. Il n’y a rien à faire avec ça. Catherine.

MAXïïïME ME SOUHAITE LA BONNE ANNÉE – Ma mère m’a dit de vous écrire parce que je ne vous ai pas dit bonne année. Elle ne veut pas que vous vous inquiétez. Je continue d’aller à l’école même si j’ai 22 ans maintenant. À cet âge-là vous étiez sûrement grand-père. Après mes cours je travaille dans un Canadian Tire, dans la section des batteries de char. Dans mes cours il y a plein de filles qui mangent leurs muffins ou leurs ptites carottes à la pause, en essayant de pas faire de bruit.

Je prends le train pour aller et revenir de l’école. Il y a aussi des filles dans le train. Les plus belles débarquent à Rosemère. Ça doit être parce que les plus belles sont aussi les plus riches ; en tout cas, ce sont celles qui ont les plus petits iPod.

J’ai l’air de m’intéresser aux filles mais pas vraiment. Je m’intéresse plus au Canadien. Si jamais vous avez des billets, p’tête qu’on pourrait aller voir une game. Je soupçonne que vous pis moi, on n’a pas mal rien à se dire ; comme ça, avec la game, il se passerait au moins de quoi. En espérant que cette année soit pour vous la meilleure.

Maxime

ON JOUE ? - Pour finir, une idée piquée dans un journal en Alabama, je ne sais plus lequel, anyway c’est un jeu. On a demandé un jour à Hemingway d’écrire une nouvelle en six mots ; pas n’importe quoi, une vraie nouvelle qui raconte vraiment une histoire. Hemingway a écrit ceci : À vendre : souliers de bébé jamais utilisés (en anglais ça fait six mots).

Sur ce modèle, le journal – peut-être The Atlanta Journal – a demandé à ses lecteurs de raconter leur vie en six mots. Le journal a reçu plus de 15 000 réponses. Deux exemples au hasard : Found true love, married someonne else. Moins intense : Wasn’t born a redhead ; fixed that.

J’ai essayé évidemment. J’ai visé de ne pas être trop sérieux, mais quand même, d’être le plus près possible d’un vrai résumé de ma vie. Ça donne ceci : Euh, quelqu’un aurait-il un tournevis ?

Vous, votre vie en six mots (pas sept), ça donnerait quoi ?