Le mardi 4 mars 2008


Série noire
Pierre Foglia, La Presse

Dans les semaines qui suivent une chronique de livres, des lecteurs rebondissent avec l'air d'exiger un remboursement: je n'ai pas aimé le livre dont vous avez parlé, monsieur le chroniqueur.

Et alors? Vous pensez que cela ne m'arrive pas à moi? Je viens de connaître une série affreuse. Cinq romans dont les critiques, les libraires, mes amis disaient le plus grand bien viennent de me tomber des mains. Je me demande ce qui est le plus embêtant, l'argent du livre, l'avortement de lecture, ou d'être seul dans son tutu?

L'autre midi à Maisonneuve - qui soit dit en passant est bien meilleur dans la santé que dans la culture -, l'autre midi, il y avait un cinéaste de merde, auteur d'un film de merde (mais que tout le Québec a adoré) qui se demandait à quoi pouvait bien servir la critique si elle n'était même pas capable de reconnaître un chef-d'oeuvre (le sien) quand elle en avait un sous le nez. Non, il n'a pas dit ça. Mais c'est ce qu'il pense. Les critiques sont des poseurs, a-t-il dit en substance, rien ne leur plaît plus que d'aller contre le courant (populaire).

C'est tout le contraire, connard. J'ai peur dans le noir. Je freake comme un fou. Je me tâte: qu'est-ce qui ne va pas chez moi? Je retourne voir et, désespoir, je trouve cela tout aussi nul la deuxième fois. Tant pis pour moi.

Revenons aux livres. Cela a commencé avec Un homme de Philip Roth, un terrible roman en forme de testament, disait la critique. Roth, dont je vénère les deux monuments, La contrevie, La tache. Mais aussi Roth qui écrit trop. J'aurais dû me méfier après être tombé sur ce passage dans une entrevue avec l'auteur (Nouvel Obs):
Le critique: À la fin du livre, juste avant de mourir, le héros discute avec un fossoyeur qui lui parle de son métier. Que cherche le héros?
Philip Roth: Je crois qu'il cherche à établir une proximité avec la mort.

Ah ben! C'est drôle, j'aurais cru qu'ils allaient discuter du meilleur moyen d'ôter une tache de sauce à spaghette sur un col de chemise.

Mais ma plus grande déception vient de Parfum de poussière du Canado-Libanais Rawi Hage. Chantal, la jeune femme qui tient le cahier Livres chez nous et dont je partage presque tous les goûts littéraires, me l'avait recommandé comme à vous d'ailleurs avec beaucoup d'insistance, son coup de coeur de l'année. Ma libraire me l'a mis au moins trois fois dans les mains. Un ami m'a téléphoné tout exprès, lis Rawi Hage de toute urgence.

J'ai traversé ce livre-là comme on traverse Cleveland la nuit en Greyhound. Comme on cherche une place un samedi après-midi dans le parking d'un centre commercial de Laval. Mais je ne demanderai à personne de me rembourser, c'est moi, sûrement.

Puis il y a eu No Country for Old Men, pas le film, le livre de Cormac McCarthy sur lequel je m'étais déjà cassé les dents il y a longtemps. Plus jamais. Les romans noirs, je les aime noirs comme le sang séché. Pas jaune comme un flic constipé, pas blême comme un tueur qui philosophe sur la déréliction des passions médiocres.

Puis le dernier Modiano (pour moi le premier), me voilà donc dans ce Café de la jeunesse perdue pour me rendre compte que ce n'était pas leur jeunesse que le narrateur et les gens qui étaient là avaient perdu, mais leur identité, et qu'ils allaient la chercher (sans moi) pendant 150 pages.

Pour finir ce roman policier du plus à la mode des auteurs de romans policiers, mais je soupçonne que sa nationalité, islandaise - comment peut-on être islandais? - et son prénom, Arnaldur (Indridason) participent plus de cette originalité que son inspiration. Au début du roman, il y a un bébé qui trouve un os humain dans la terre et qui le mâchouille. Pas une seconde je n'ai eu envie de savoir à qui appartenait cet os. Je crois qu'il y a trop longtemps que j'ai lu des romans policiers, il faudrait que je renoue avec le genre par quelque chose de plus classique. Vous n'en auriez pas un qui raconterait l'histoire d'un réparateur de tondeuses à gazon bipolaire qui tue sa femme en maquillant son crime en accident de plongée sous-marine?

Chérie, chérie, viens voir les petits poissons tropicaux de toutes les couleurs.

Tous ces revers de lecture! Pauvre, pauvre monsieur Foglia.

Ne me plaignez pas. J'ai tant à relire. Ces jours-ci, avec une jubilation vengeresse, je relis de longs passages du Joyce de Victor-Lévy Beaulieu. Tout particulièrement ce passage-là sur Swift et sur Lewis Carroll, et sur la modernité littéraire. C'était dans le premier quart du vingtième siècle quand les livres qu'on publiait étaient écrits par des tâcherons... thèmes épuisés et épuisants, on lisait Anatole France, Paul Bourget et Pierre Benoit qui n'inventèrent pas le fil à couper le beurre littéraire. Cet Ulysse si moderne cent ans plus tard.

Envie de pasticher. C'était dans la première décade du vingt et unième siècle. À part ceux que Marie Laberge débitait en tranches régulières, on ne lisait plus de livres, on lisait les journaux. Thèmes épuisés, thèmes épuisants. Ce Victor-Lévy, cent ans d'avance, si moderne mais que des gens qui n'avaient aucune idée de ce qu'est la modernité disaient dépassé. Des gens qui parlaient de modernité sans n'avoir jamais lu ni Lowry, ni Faulkner, ni Roth, ni Eco, ni Bataille, ni Artaud, ni Céline, ni Bernhard, des gens, des journalistes (comme moi) qui ne savent que louer ou blâmer, mais jamais saisis, jamais émus, jamais cloués de respect devant l'immensité d'une oeuvre fût-elle, parfois, déraisonnablement colérique.

Il faut lire VLB. Il ne faut pas lui répondre comme s'il était un Facal, un Foglia, un Pratte. Le lire sacrament.