Le jeudi 6 mars 2008


La vie en six mots
Pierre Foglia, La Presse

Je savais que vous aimeriez ce petit jeu. Vous avez été très nombreux en tout cas. Si vous avez été bons ? Ah ça, il n’y a que vous pour le savoir. Avez-vous triché ? C’était la seule règle au fond. Pour jouer vraiment, il suffisait de ne pas tricher. Comment voulez-vous que je sache si les six mots que vous m’avez envoyés résument vraiment votre vie, je ne vous connais pas.

Avez-vous donné parfois dans la formule ronflante ? J’en ai eu l’impression. Évidemment, la tentation était grande. Comme il s’agissait de réduire sa vie à six mots, un peu comme on fait réduire l’eau d’érable par évaporation, évidemment, j’ai eu bien du sirop. Mais ça, je m’y attendais. Je vous connais, allez ; ça fait longtemps maintenant.

Mais rendons d’abord à César. J’ai dit que j’avais emprunté l’idée de ce jeu à l’Atlanta Journal. Il semble que ce quotidien ait lui-même copié la revue en ligne Smith (1) qui après avoir lancé un concours de biographies en six mots, les a rassemblées dans un livre dont le titre a été donné par la gagnante du concours : Not quite what I was planning ! Le New Yorker en a fait un article, Say it all in six words. Bref, je n’ai rien inventé ; ce qui, au fait, pourrait très bien me servir de biographie : Bref, je n’ai jamais rien inventé.

Vous vous rappelez ma contribution : Euh ? quelqu’un aurait-il un tournevis ? Des lecteurs m’ont reproché d’avoir sacrifié à l’absurde ; la formule me ressemblerait, mais seulement parce qu’elle ne veut rien dire.

Eh bien, ils se trompent. J’ai joué pour vrai. Depuis tout petit j’ai ce sentiment de légère « malfonction ». Le sentiment que « mon affaire n’est pas tout à fait au point ». D’où cette quête d’un tournevis. Voilà. C’est sûr, cela n’a pas la simplicité lumineuse de la biographie de Magalie, peut-être ma préférée de toutes les réponses reçues pour sa transparence justement : Née en Haïti, élevée au lac Saint-Jean.

Parmi mes préférées, celle-ci aussi, d’une épouvantable vérité : Je suis morte à ma naissance. Comment je sais qu’elle est vraie ? Parce que C... est une vieille amie que je ne vois pratiquement jamais, mais je pense à elle chaque fois que Cash chante dans mon iPod, I hurt myself today, to see if I still feel, I focus on the pain. Je vous embrasse, madame Magane. Et vous, je sais, vous embrassez mes minous.

Tout à l’envers de celle-là, le soleil et l’ombre, parmi mes préférées aussi, une autre que je ne vois jamais, mais que j’aime bien, Bianelle, la meilleure défense c’est l’attaque. Ce qui résume sans fling-flang sa vie d’athlète, d’épouse d’athlète, de mère d’athlètes, de gérante, de gestionnaire d’athlètes. Elle ajoute un mot : tu te souviens la dernière fois qu’on s’est vu ? C’était à Austin, il y a huit ans, t’étais venu interviewer Bruni. Je me souviens ma belle. Ton Bruni causait pas beaucoup, toi par contre... on était dehors, il y avait un banc, les petites couraient partout.

Parmi mes préférées toujours, anonyme : Je veux toujours plus de confiture. De Jacques : Je cherche encore le mode d’emploi. De Christian : Go Nordiques go... oups, Go Habs go. De Constance : Je ne regrette rien, sauf que... De Dany, sibyllin : Le brouillard et puis, soudain, Fred. De Hartley : Entouré de fleurs, attends patiemment le pot. D’Alexandre : Ma vie comme un dimanche après-midi. D’un autre Alexandre : Né à Ste-Béatrix. Parents normaux. Dommage. De Carmen : Trois amours, trois enfants, trois absents. D’un ingénieur de 75 ans : Ingénieur un jour, horticulteur toujours. De Josée : Matelas à vendre, côté gauche comme neuf.

Celle-ci de Julien, qui tient plus du relevé de son humeur du jour que de sa vie : Pas encore de la maudite neige !

De toute évidence, Geneviève ne résume pas sa vie telle qu’elle est mais telle qu’elle la voudrait : Plus de sexe, moins de sudoku.

Celle-ci de Sylvain, pas évidente sur le coup : Je roule juste sur une gosse (tout s’éclaire avec les explications : depuis 22 ans je survis à un cancer d’un testicule).

Et pour finir : Casse-toi alors, eh pauvre con. Pas signé. Juste la provenance : Paris, France.

(1) Je dois ces précisions à mon vieil ami le musicien Yves Laferrière (Contraction). Yves est une sorte de Cioran acoustique, dont les observations assassines sur la culture québécoise forment depuis 30 ans que je le connais un précis de décomposition que ne renierait pas le vieux philosophe roumain. Depuis tout récemment Yves s’intéresse aussi à l’écologie. Lui et sa compagne Paule Baillargeon ayant observé que les écolos sont curieusement plus portés à sauver la planète que ses habitants, ont fait imprimer sur des t-shirts cette formule très tendance : Fuck l’humanité, sauvons la planète.

Les profits de la vente de ces t-shirts serviront à Paule, Yves et moi à financer une expédition presque scientifique pour aller étudier les effets du réchauffement de la planète à Waikiki l’hiver prochain.

Mais revenons à la culture, lundi, j’ai entendu à la radio de Radio-Canada, un monsieur dont je n’ai pas retenu le nom, mais il avait quelque chose à voir avec le film Les trois petits cochons, qui allait recevoir la Bobine d’Or au gala des Genie à Toronto. La bobine d’or est donnée au film qui a fait le plus d’entrées. Et le monsieur disait au journaliste qui l’interviewait : « C’est la preuve que des films intelligents ça se peut et ça l’existe. »

Ma question : pourquoi intelligents ? Qu’est-ce que ça l’a à voir avec le nombre d’entrées ?