Le samedi 15 mars 2008


Chronique de cul
Pierre Foglia, La Presse

J' ai un don. Montrez-moi un homme, n’importe lequel, et je vous dirai s’il va aux putes ou non. Je peux même faire ça avec des bébés. Vous me montrez votre bébé et je vous dis s’il ira aux putes ou pas quand il sera grand, comme ça vous pourrez le faire vacciner tout de suite contre la syphilis, le chancre mou et l’herpès génital.

Si je me trompe parfois ? Souvent. Voyez je me suis encore trompé cette semaine. Si vous m’aviez demandé pour Eliot Spitzer, le gouverneur de New York, je vous aurais dit : ben non, pas lui.

En réalité je ne suis pas si doué que ça. Pour les mononcles ou les beaufs ça va, mais avec les gouverneurs, les prédicateurs, les présidents des États-Unis ou les présidents des ligues de moralité, je me laisse souvent impressionner par la cravate, le regard droit et franc, et par l’épaisse qui sourit à leurs côtés et qui a l’air tellement contente d’avoir épousé le bon Dieu.

Eliot Spitzer, qu’on surnommait monsieur Propre, aurait dépensé près de 80 000 $ comme client d’une agence d’escortes. En 2004, il avait exprimé sa colère et son dégoût en annonçant l’arrestation de 16 personnes liées à un réseau de prostitution de luxe. C’est à cet ostensible dégoût qu’on les reconnaît. Ils ne crachent pas dans la soupe parce qu’ils la trouvent dégueulasse.

Le contraire : ils crachent dedans parce qu’ils ont très envie d’y goûter. Ils finissent pas succomber quand même et par ravaler ainsi leurs crachats. Trouvez pas que j’aurais fait un bon psy ?

Revenons aux putes. Je ne comprends pas. Je n’ai jamais compris comment on pouvait aller aux putes.

Comment ça tu ne comprends pas, me disait un ami ? C’est pourtant simple : t’achètes un service, pas de niaisage, pas de resto, pas de parlotte, tu paies, tu baises, merci madame, tu rentres à la maison.

Tu baises ? Baiser ? Pénétrer une bonne femme que cela laisse, au mieux, indifférente ? Baiser ?

Je n’ai jamais compris. J’avais 18 ans, je travaillais déjà dans un journal, pas comme journaliste, comme typographe. C’était au Provençal, situé à l’époque dans le quartier de l’Opéra à Marseille qui était aussi le quartier des putes.

J’habitais, à deux pas du journal, le Chambord, un petit hôtel à putes justement. Elle s’entassaient dans l’entrée quand je rentrais après la job à une heure du matin. Il y avait, voisin de l’hôtel, un comptoir à sandwiches avec des tabourets sur le trottoir. Elles y étaient comme en récréation, déconnaient, racontaient des histoires incroyables de clients qui arrivaient avec des chiens. J’en rêvais parfois dans ma chambre, d’une seule main, mais je ne suis jamais monté avec aucune.

Pas à cause des chiens, à cause de ce que je vous disais en commençant cette chronique : il y a des hommes qui vont aux putes et d’autres pas. Cela n’a rien à voir avec la morale. Cela à avoir avec l’argent. Pas l’argent en soi. Avec la transaction elle-même. Avec un échange qui n’aura pas lieu, qui ne peut pas avoir lieu.

C’est drôle, parce que j’ai le rapport exactement inverse avec les livres. Si je ne les achète pas, bref si je ne les mérite pas, je n’ai aucun plaisir à les lire (à les baiser ?). Anyway.

Après Marseille il y a eu l’armée et les putes du BMC : bordel militaire de campagne. Je n’ai jamais vu de quoi les filles avaient l’air. Des soldats attendaient en ligne à l’entrée d’une tente, une petite serviette à la main. Rolland, un Guinéen de mon unité, y est allé. J’étais curieux :

Dis, Rolland, la petite serviette c’est pour quoi faire ?
Pour essuyer ton gou’din
Après ?
Non, avant. Y’a une cuvette avec de l’eau. Tu laves ton gou’din dedans. Tu l’essuies avec la se’viette.
C’était bien ?

Elle a pas bougé. J’ai pensé qu’elle était mo’te.
Peut-être qu’elle l’était ! Il est parti à rire. L’idée de s’être vidé dans une morte l’a mis dans une de ces grandes joies d’enfant comme en ont souvent les Africains.
Après l’armée, il y a eu le Québec du début des années 60, un bordel à ciel ouvert.

J’exagère, surtout pour le ciel. En fait de ciel il n’y avait plus de ciel, il venait tout juste de tomber avec toutes ses bondieuseries. Côté cul c’était la folie. Matante Aline n’en pouvait plus de rattraper le temps perdu. Fallait vraiment être très tordu pour aller aux putes en ce temps-là.

Même les marxistes-léninistes se baignaient tout nus, des communes de l’amour libre s’ouvraient un peu partout. Une danseuse de chez Paré qui couchait avec Stan Mikita quand les Blacks Hawks de Chicago venaient jouer au Forum, m’a écrit au journal pour m’inviter chez elle. J’y suis allé. C’était pour me montrer ses poèmes très chastes et même un peu pastoraux.

Mon ami Gobeil, alors directeur des sport à La Patrie où nous sévissions tous les deux, n’en est jamais revenu. Ça n’arrive qu’à toi ces trucs-là, des poèmes ! Elle t’a même pas sucé ?

Non, on a soupé. (Une soupe au poulet et nouilles alphabet et du pain brun.)

Aujourd’hui ? Aujourd’hui, je continue de ne rien comprendre quand arrive des affaires comme celle du gouverneur de New York. 80 000 $ ? 4000 $ la shot ? Mais pour quelle gymnastique grand Dieu ? Aurais-je à ce point manqué d’imagination érotique toute ma vie pour être incapable d’imaginer pour 80 000 $ de turpitudes ?

Pour pas un sou je peux inventer plein de trucs pervers. Pour 5 ou 80 000 piastres, rien. Vous ? Vous êtes vraiment capable de bander dans le parking d’un Wal-Mart ? Ah ben !

Je me souviens d’une scène à Cuba, un soir, dans un restaurant où je soupais avec un ami. Est arrivé un de ces couples comme on en voit plein là-bas. Lui, la soixantaine, probablement Italien. Elle, Cubaine, 16, 17, 18 ans ? Étourdissante de beauté. Lui me tournait dos. Elle me faisait face. Sa beauté s’est éteinte à mesure que le repas avançait, ravagée par l’ennui.

Le bonhomme s’est levé pour aller pisser. Je suis allé avec lui. J’ai pris une chance en italien, gentiment, en blague, j’ai dit : laisse-là donc aller jouer avec ses petits amis.

Je suis Allemand il a dit. J’ai regardé : il avait la queue longue et fine comme une saucisse de Francfort.