Le jeudi 3 avril 2008


Les flics
Pierre Foglia, La Presse

La dernière fois que je me suis fait « coller » – je n’avais pas bouclé ma ceinture – le flic qui m’a dressé ma contravention a été irréprochable. Ni courtois ni bourru : civil. J’ai essayé de le bullshiter : écoutez monsieur l’agent, j’ai quelque part un certificat de médecin qui me dispense du port de la ceinture... Il n’a même pas protesté, n’a pas dit : ne me prenez pas pour un imbécile. N’a même pas eu de petit sourire. Il a seulement demandé à voir cette dispense que je n’avais pas, bien entendu. Il m’a remis ma contravention et même son « bonne journée », a été d’une totale civilité, pas bonne journée lalalèreu-tu-l’as-dans-le-cul, mais bonne journée quand même monsieur le citoyen.

Je ne me souviens pas d’une autre fois comme celle-là. La scène aurait dû être filmée pour être montrée dans les écoles de police.

Je dis parfois, en exagérant bien sûr, que je m’exaspère plus d’un flic qui tutoie un citoyen que d’un flic qui tue un citoyen. Les bavures, même dramatiques, nous disent qu’il y a des morrons dans la police, on s’en doutait. Tandis que les minuscules dérapages, en apparence sans importance, entre simples flics et simples citoyens – tutoiements intempestifs, échange de propos un peu vifs – sont les marqueurs d’un dysfonctionnement de tout le système. À tout le moins l’indication que le système n’instruit pas bien les policiers de leur rôle.

Un de mes collègues à La Presse a vécu récemment une petite mésaventure avec la police qui illustre si parfaitement le dysfonctionnement dont je parle que je lui ai demandé la permission de la raconter. Voici.

Mon collègue s’en allait à Dorval en taxi. Le taxi roulait très lentement sur la 15 Sud à cause du trafic du retour à la maison, et peut-être aussi à cause d’un accident qui bouchait la bretelle menant à la 20 (et à Dorval). Il y avait là des voitures du ministère des Transports dont les flèches semblaient interdire l’entrée de ladite bretelle. Il y avait aussi un camion de pompiers, une voiture de la SQ et même, par le plus grand des hasards, un photographe de notre journal (Rémi Lemée).

À tort peut-être, le chauffeur de taxi s’engage très très lentement dans la bretelle, ne sachant pas trop s’il pourrait passer ou non. C’est alors que, bang, bang, à grands coups de poing sur le toit de la voiture un flic stoppe sa progression et se met à l’engueuler :
Ça vous prend combien de voitures de police et de flèches pour comprendre que la voie est fermée ? Le flic demande les enregistrements du chauffeur qui, dans son énervement ne les trouve pas tout de suite. Mon collègue qui se voit bloqué là pour un moment ose évoquer qu’il va sans doute rater son avion...

Vous, taisez-vous, lui intime le flic. Je pourrais vous donner un ticket aussi, votre ceinture n’est pas bouclée. Puis il s’éloigne. Quand il revient, il surprend le photographe en conversation avec mon collègue, lequel se justifie : on se connaît, je suis journaliste à La Presse. Alors le flic, avec toute la mauvaise foi du monde :
Vous seriez le premier ministre que ça ne changerait rien ! Et d’en rajouter une couche en lançant : Y’a-tu du monde tata !
Pourquoi ces insultes ? demande mon collègue.

Ce n’est pas une insulte, c’est une exclamation, dit le flic.

Pour la petite histoire : mon collègue a reçu (et payé) une contravention de 115 dollars et deux points d’inaptitude. Le chauffeur de taxi contestera la sienne : 430 $ et 4 points d’inaptitude pour... excès de vitesse.

Cette scène-là aussi aurait dû être filmée pour être montrée dans les écoles de police. Être flic, c’est exactement pas ça. Ce n’est pas taper du poing sur le toit d’une auto. Ce n’est pas engueuler le chauffeur. Ce n’est pas insulter mon collègue en induisant qu’il a essayé de le circonvenir. Encore moins le traiter de tata.

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Être flic, c’est un rôle.

L’acteur sur scène ne peut pas s’interrompre au milieu d’une tirade, pour apprécier personnellement cette tirade, genre, s’adressant au public : c’tu débile de dire ça !

De la même façon, le flic ne peut pas sortir de son rôle de flic pour apprécier personnellement une infraction et traiter de tata le contrevenant. Il ne peut pas personnellement donner une contravention de 450 $ à un chauffeur de taxi qui roulait à 15 km/h.

Que le juge fasse sauter la contravention ne réglera rien. Il faudrait faire sauter le flic. À tout le moins le retourner à l’école de police.

Ce qu’un flic met en danger en s’arrogeant le pouvoir et l’autorité qui lui ont été délégués par les citoyens, c’est l’idée même de servir.

Le même glissement de rôle mène, dans d’autres cas, à la brutalité policière. Et à bien pire dans d’autres pays, mais parfois dans le nôtre aussi. Je reviens à mon image excessive : un flic qui tue un citoyen, c’est un connard de flic. Un flic qui tutoie un citoyen, ou qui le traite de tata, ou qui l’engueule, ou qui lui fait la morale, c’est un système qui n’instruit pas assez bien ses policiers de leur rôle.