Le mardi 8 avril 2008


Des phoques, des chiens et un héron
Pierre Foglia, La Presse

J'ai lu les textes sur les chasseurs de phoques (dont celui, samedi, de mon collègue Patrick Lagacé), j'ai écouté les commentaires sur la chasse aux phoques, me semble avoir tout compris en particulier combien la chasse aux phoques était indispensable à l'industrie des porte-clés en peau de bébé phoque, je pense avoir tout compris, disais-je, mais je pose la question quand même pour être plus sûr:
Ai-je encore le droit, après la tragédie qui a coûté la vie à quatre chasseurs de phoques d'être contre le débile massacre des bébés phoques sur la banquise? (OK, OK, pas des bébés, quelques semaines de plus).

Le sujet était déjà patriotique avant cet accident, nous voilà maintenant avec des martyrs. Dites-le-moi si vous êtes sur le point de me retirer mon passeport canadien? Je peux parler d'autre chose, ce ne sont pas les bonnes nouvelles qui manquent: le printemps est arrivé; Nathalie Simard est partie; M. Gore aussi, Jean Lemire ne repartira pas (en expédition) tout de suite; les crocus sont sortis, oui, oui, ce matin...

Ma question c'est juste ça: ai-je encore le droit d'être contre la chasse aux phoques?

Avant qu'on m'accuse d'insensibilité, je tiens à dire que cet accident de chasse m'a attristé comme m'attristerait n'importe quel autre accident de chasse. Si j'entends au téléjournal qu'une collision dans le parc de La Vérendrye entre un camion et une voiture à bord de laquelle se trouvaient quatre chasseurs d'orignaux a fait quatre morts, je n'applaudis pas, je ne dis pas: «Youppi, 4-0 pour les orignaux.»

En règle générale, quand quelqu'un se tue dans un accident, je ne me demande pas où il était allé. Je ne réagis pas différemment s'il était allé voir sa vieille mère à l'hôpital ou s'il était allé aux putes. Même chose pour ceux qui meurent à la guerre. Je suis contre l'intervention américaine en Irak. Mais quand quatre soldats américains sautent sur une mine à Bagdad, je trouve ça triste... Tout en restant convaincu de l'inutilité de cette guerre et de quelques autres.

Résumons-nous.

Je trouve triste l'accident qui a coûté la vie à quatre pêcheurs madelinots.

Je continue d'être contre le massacre des bébés phoques sur la banquise. OK, OK, pas des bébés, quelques semaines de plus.

Je ne crois pas que les phoques soient responsables de l'épuisement des bancs de morue. C'est la surpêche des pêcheurs de morue qui a épuisé la ressource, pas les phoques.

Je ne crois pas non plus aux prétextes commerciaux d'une chasse à un animal dont la chair est sinon impropre à la consommation, pas très ragoûtante. Je crois par ailleurs que l'humanité pourrait très bien survivre sans manteau et sans porte-clefs en loup-marin. Bref, je crois que cette chasse (subventionnée) est toute dans le plaisir de l'expédition, de la chasse... et de la subvention. Non, ce n'est pas un crime. Mais qu'on le dise.

Je ne suis pas contre la chasse en général. Je suis contre l'abattage.

Je ne suis pas contre la chasse en général. Je suis contre l'idée d'une chasse patriotique: nous les Canadiens-pas-moumounes contre le reste du monde qui ne comprend rien à la joie d'éclater le crâne d'un phoque sur la banquise. Après tout, calice, c'est notre banquise.

D'AUTRES BÊTES - Vous ne vous souvenez probablement pas de Roseline. Une petite histoire que je vous ai racontée l'été dernier. Roseline était ce bébé wapiti née orpheline d'une mère qui avait trop souffert pour la mettre au monde et l'avait reniée aussitôt née, l'associant à sa douleur. Cela arrive assez couramment chez les vaches (et parfois chez les humains).

Roseline fut donc élevée au biberon et devint familière avec les humains. À l'automne, c'était une magnifique demoiselle aux grandes pattes graciles, elle me faisait la fête quand j'arrêtais pour la saluer, pleine de petits cris et de finesses. Cela se passe à l'élevage Val-Grand-Bois sur un des mes plus beaux parcours de vélo. Je repassais par là pour la première fois samedi, j'arrête pour voir Roseline. Pas de Roseline. J'appelle: «Roseline?»

- Elle est morte, me dit Germain qui sortait de l'enclos.
- Morte?
- Égorgée.
- Des coyotes?
- Non, deux chiens. Ils étaient encore dans l'enclos quand on est arrivés. Ils avaient une médaille, on connaît le proprio. Elle était si innocente, si peu méfiante, qu'elle a dû se précipiter à leur rencontre pour jouer...

Parce que j'en avais parlé dans cette chronique, vous étiez quelques-uns à arrêter à l'enclos de Germain et Francine pour faire une caresse à Roseline. Et Germain a bien peur de passer l'été à raconter à tout un chacun cette histoire qui l'amène chaque fois au bord des larmes. Alors, voilà, si vous arrêtez dans les mois qui viennent à la boutique, évitez de parler de Roseline. Vous pouvez parler de moi à la place: «Comment va M. Foglia? Les chiens ne l'ont pas encore égorgé?»

D'AUTRES CHIENS - Méfiez-vous, me dit le douanier américain en me rendant mon passeport, Si vous tournez vers le lac Carmi, juste avant l'église, à droite, il y a une meute (a bunch) de chiens féroces...

Je ne comprenais pas son petit sourire, comme s'il me faisait une blague.

Deux milles plus loin, avant l'église, dans la cour d'une modeste maison, sept chiots âgés de quelques semaines crapahutaient partout. La maman, une bâtarde efflanquée, trônait comme une reine au milieu de la cour. Je me suis arrêté. Une petite fille avec des lunettes est arrivée en courant: «En voulez-vous un?»

J'ai montré celui qu'elle tenait dans ses bras:
- Peut-être celui-là?
- Non, non, celui-là, je le garde.
- Celui-là ou rien.
- Rien d'abord.
- Tant pis.

La montée du lac Carmi et retour vers Franklin par les fermes aux silos bleus, mon chemin secret jusqu'à Highgate, un autre chemin secret qui traverse un marais si inquiétant qu'on dirait un bayou, un héron bleu a décollé presque sous ma roue. Il était encore là le lendemain quand j'ai refait le même parcours, les chiots aussi, et la petite fille avec des lunettes.

Et puis ce matin, dans ma propre cour, sur le talus à Picotte, les premiers crocus. Je vous jure, le printemps.