Le jeudi 10 avril 2008


Paroles et musique
Pierre Foglia, La Presse

Ça fait quand même un certain temps que je suis vieux, pourtant, côté musique je ne vieillis pas tellement, disons que je ne vieillis pas autant que mon âge et cela sans faire aucun effort de mise à jour. Des fois j'entends un truc à la radio et je me dis: tiens, Midnight Oil, mais c'est pas Midnight Oil, ni Pearl Jam, ni Pretenders, du bon rock c'est tout, du bon vieux rock de toujours, des guitares, un basse, un drum, et un chanteur ou une chanteuse.

J'accroche des fois à des nouvelles affaires à la radio, comme à cette petite Canadienne qui pogne fort ces jours-ci, Feist, je crois, avec son hit one, two, three, four, je l'ai découverte l'été dernier grâce à Mara Tremblay qui tenait la chronique musicale chez Masbourian (merci madame, j'espère que vous allez revenir cet été). C'est aussi par la radio, le jour de Pâques, que j'ai allumé sur un hommage à Ferré bricolé par une gang d'Italiens, un CD couleur vieux jazz avec un fabuleux joueur de trompette qui s'appelle Paolo Fresu. Et c'est à la radio toujours, à Homier-Roy, que j'ai entendu pour la première fois ce Canadien, Harry Manx, vieux jazz aussi, disons vieux blues, flanqué d'un fabuleux joueur de ruine-babines qui s'appelle Steve Mariner...

Mais pourquoi je parle musique, déjà?

Ah oui, Léo Ferré. Le CD des Italiens m'a donné l'idée de revisiter Ferré, surtout les trucs moins connus comme Les vieux copains, ou comme Les forains... Il y a une magie Ferré, parfois inouïe et même incompréhensible; tenez, par exemple, le refrain des Forains chute sur ces mots d'un ridicule fini: turlututu chapeau pointu, pourtant, POURTANT ça ne sonne pas ridicule du tout, ça sonne ritournelle comme le Rimbaud de Mes petites amoureuses, ou encore le Rimbaud du Bal des pendus... au gibet noir manchot aimable\dansent, dansent les paladins...

Le plaisir inouï des mots chez Ferré. Le revisitant je suis tombé sur La mémoire et la mer, poème déjanté, peu connu, qui a surtout servi de matériau pour d'autres chansons, les mots roulent n'importe comment dans cette Mémoire de la mer, comme des cailloux dans un torrent, cette mathématique bleue\Dans une mer jamais étale\D'où nous remonte peu à peu\Cette mémoire des étoiles, c'est pas Garou, c'est sûr. Dans le désordre de ton cul\Poissé dans des draps d'aube fine\Je voyais un vitrail de plus\et toi fille verte mon spleen... Chez Ferré, la poésie fait souvent floutche comme le sexe des dames et les ballons de basketball.

J'avais 16 ans, et n'avais bien sûr aucune idée de ce que pouvait bien être des draps d'aube fine. Allez donc savoir pourquoi, ces mots-là que je ne comprenais pas, me donnaient, me donnent toujours, une irrépressible envie d'écrire...

Pourquoi je vous parle de Ferré?
Parce que hier soir, en revenant de ma virée à vélo, ma fiancée qui peut parfois être très, mais alors vraiment très très fine, m'a dit: je t'ai acheté un cadeau, devine...
J'ai droit à un indice? Où l'as-tu acheté?
Chez Canadian Tire.

Je me suis aussitôt fendu de mon premier vrai sourire de bonheur depuis vos niaiseries sur les phoques. Je sais mon amour: un ballon de basketball!

Special edition NCAA. Sur le carton il est écrit: Cannelures pour un summun de performance et un toucher supérieur. Fiancée, mon amour, on dirait qu'ils parlent de toi. Il est écrit aussi: Vessie en butyle-caoutchouc. Fiancée, mon amour, on dirait qu'ils parlent de moi.

Mais pourquoi Ferré?

Parce que je suis allé faire des paniers avec mon nouveau ballon et mon iPod. Et que c'est Tze nana qui jouait dans mon iPod, c'est dans la voix et dans le geste...

Et dans les mots qui font floutche.

LES PHOQUES - Je m'étais promis de ne pas y revenir quelle que serait l'énormité de vos clichés (ah le complexe de Bambi!) mais vous avez quand même réussi à me pomper sur un truc, et là vraiment, je ne m'y attendais pas: la leçon de cuisine!

Vous êtes plusieurs à me dire que, bien apprêté, c'est très très bon du phoque. Y'en a même un qui m'a dit que ça goûtait le thon.

Ben tiens! Le phoque goûte le thon à peu près comme la tarte aux fraises goûte la soupe aux poireaux, mais je ne me serais pas obstiné si votre leçon de cuisine ne s'accompagnait pas d'admonestations du genre: que diable. monsieur le chroniqueur, un peu de curiosité, un peu d'audace!

Je vous demande pardon?

J'ai grandi en des temps difficiles où notre quotidien tournait autour de la nourriture, et si finalement on n'en a jamais manqué, c'est bien parce qu'on mangeait tout ce qui pouvait se manger, de la tartine de saindoux, aux petits oiseaux qu'on piégeait dans la cour pour manger avec la polenta. Et des abats, beaucoup d'abats, même du poumon et de la rate, vous avez déjà mangé des tranches de poumon frit?

De cette période, il m'est resté une question qui n'a bien entendu plus rien à voir avec la survie mais avec la curiosité: est-ce que ça se mange? Question presque culturelle chez les Italiens et autres Européens de mon âge: est-ce que ça se mange? Notre première interrogation devant une nouvelle bestiole: est-ce que c'est bon à manger?

Est-ce que c'est bon à manger du phoque? Pas ben ben, m'ont répondu les Madelinots auxquels j'ai posé la question à chacun de mes voyages aux Îles. J'en ai mangé quand même. Au restaurant. Et chez des gens. Ils avaient raison: pas ben ben.

Mais c'est même pas ça. C'est de me faire dire par des Nord-Américains que je manque de curiosité et d'audace culinaires. Je ne le prends pas.

Dites-moi, fait combien de temps que votre matante Germaine mange des rognons, si elle en mange? Du lapin? De la pieuvre? De la raie? De la barbote? Du boudin? Des tripes?

Dans le Québec profond d'aujourd'hui, encore plein de gens ont dédain de l'agneau, pis vous me dites que vous allez mettre du phoque dans leur assiette?

Hé, vous devriez faire le festival de l'humour.