Le mardi 22 avril 2008


N'en parlez pas au «National Geographic»
Pierre Foglia, La Presse

Si j'étais suisse, danois, espagnol, polonais ou papou et que je faisais beaucoup de vélo, je me préparais, drette là, à venir pédaler la Route verte du Québec classée par le National Geographic «la plus belle véloroute du monde», dans un ouvrage - Journeys of a Lifetime - qui recense les 500 plus belles destinations du monde.

Sauf que je ne suis pas polonais, ni danois, ni espagnol, ni papou. Je vis ici, la Route Verte passe pas très loin de chez moi, et franchement j'ai cru à une blague.

On peut dire bien des trucs sur la Route verte, notamment quelle est un assez formidable modèle de coopération entre le maître d'oeuvre, Vélo Québec, et le ministère des Transports du gouvernement du Québec. Un modèle de gestion aussi. On peut dire surtout qu'elle était une sacrée gageure dans un pays pas pédalable six mois et demi par année. On peut ajouter si on veut que la Route verte est longue. Mais belle?

Mais la plus belle véloroute du monde? Hola! Belle entre Saint-Jérôme et Granby? Entre Granby et Drummondville? Entre Drummondville et Shawinigan? Entre Victo et Québec par Saint-Agapit?

Plus belle que les parcours cyclables suisses? Plus belle que la piste cyclable qui épouse le chemin des pèlerins vers Saint-Jacques-de-Compostelle au départ du Vézelay et à travers les Pyrénées?

Plus belle que les routes cyclables de l'intérieur de l'Irlande? Que la Centovalli du nord du Piémont? Que la Natchez Trace, à travers le Tennessee, l'Alabama et le Mississippi?

Belle, la Route verte qui fait le tour du lac Saint-Jean? Très ordinaire. Belle, la Route verte qui, de Rivière-du-Loup, rejoint le Nouveau-Brunswick? Ordinaire. Belle, la Route verte entre North Hatley et Sherbrooke? Conviviale. Sympathique. Mais belle?

Il faudra bien que quelqu'un dise aux cyclos suisses, danois, espagnols. polonais et papous que le Québec est bien plus beau à pédaler en dehors de la Route verte. Dans mon coin, par exemple.

Mais chut, pas un mot au National Geographic.

MOTOS Je n'ai jamais conduit de moto, me semble même que je ne suis jamais monté sur une moto de ma vie, en tout cas pas au cours des 40 dernières années. Dites-moi, vous qui connaissez ça, est-ce qu'à moto le plaisir croît avec le bruit?

Je suis arrivé à L'Oeuf comme ils allaient en partir. Ils étaient une dizaine à faire pétarader leur truc en attendant un des leurs, parti pisser. Je me suis assis à la terrasse. La fille du patron est venue prendre ma commande:
Une bagatelle à la framboise.
Quoi?
Il fallu que je hurle en détachant chaque syllabe: Une ba-ga-telleu-à-la-fram-boi-seu.
Et l'autre connard qui n'en finissait plus de pisser. Et ma bagatelle qui, à la fin, goûtait l'essen-ceu.

Sport et littérature Regardant les demi-finales du March Madness de la NCAA et n'en pouvant plus de la pub, juste pour le fun, j'ai actionné mon chrono. Clic, le jeu reprend. Clic, l'arbitre siffle un nouvel arrêt. Entre les deux clics: une minute et 58 secondes de basket.

Clic, début de la pub. Pontiac. Miller Lite. Subway. Mercedes-Benz. John Deere. Extrade. Chevron. Enterprise. Miller Lite (la même). Trois minutes et 47 secondes de pub.

Avant, ils passaient de la pub aux arrêts de jeu. Après, ils ont arrêté le jeu pour passer de la pub. Maintenant, t'as le temps de lire un roman pendant les pauses publicitaires. Pendant le March Madness de cette année, j'ai réussi à lire un roman de 391 pages. Un roman plutôt décevant d'ailleurs. Ça n'aurait vraiment rien dérangé qu'on y mette des pages de pub.

Errata

Vous vous êtes trompé, M. le chroniqueur. O. K., O. K., je vais corriger...

Dans une chronique sur ce jeune haltérophile -Jean-Philippe Maranda- qui s'est retrouvé en fauteuil roulant à la suite d'un accident d'auto, j'ai écrit qu'il avait épaulé 183 livres. Ce sont des kilos. 183 kilos. Je sais, vous n'avez rien vu. Si vous croyez que ça me console de partager votre ignorance...

Dans une chronique, je ne sais plus quand, j'ai écrit décade, je voulais dire décennie. Décade, 10 jours. Décennie, 10 ans. Note: paraît que la confusion est si courante qu'elle est maintenant tolérée.

Rapportant (tout croche) des propos d'étudiants en grève, je laisse entendre que L'Oréal commandite une salle de cours à l'UQAM. Ce n'est pas à l'UQAM, c'est à HEC. On les félicite.

Enfin, dans une chronique datée d'Alabama, je parle d'un monsieur au curieux prénom de Whitelaw. Je persifle, ha ha ha, Whitelaw -loi blanche- dans un des États les plus racistes des États-Unis. Un prof de linguistique de Chicoutimi, M. Luc Baronian, me fait remarquer que law dans les noms propres britanniques identifie une sorte de colline. Alors Whitelaw: colline blanche. Vérification auprès de l'intéressé: bien sûr, bien sûr, mais ici, dans la Black Belt, ce n'est pas en pensant aux collines qu'on n'appelle pas les enfants Michael.

La normalité

Pour finir, un très très court éditorial sur la hausse des prix des denrées alimentaires qui provoque des émeutes dans les pays les plus pauvres, Haïti, Sénégal, Philippines, etc. J'ai lu quelques articles sur le sujet et tous accusent «la spéculation des marchés à terme», mais comme je ne sais pas ce que signifie «spéculation des marchés à terme», je ne suis pas très avancé. C'est pas grave. Mon éditorial est pour dire: mettons qu'il n'y ait pas de crise. Mettons que tout est normal.

Pas de crise alimentaire, pas d'émeutes, pas d'histoires de biocarburants, pas de sécheresse, pas de stocks mondiaux trop bas, pas de demande trop forte de la Chine et de l'Inde, pas d'articles dans les journaux, une journée normale dans le monde, mettons le 21 février 2004 ou le 3 septembre 1996, ou la veille, ou le lendemain:
CHAQUE JOUR, dans le monde, 100 000 personnes meurent de faim ou des suites immédiates de la faim. Cent mille personnes.

Ça, c'est en temps normal.