Le mardi 6 mai 2008


Superman
Pierre Foglia, La Presse

Même en jouant comme ci, comme ça, ils auraient battu les Flyers si seulement Carey Price avait joué, lui aussi, comme ci comme ça. Je veux dire au moins comme ci comme ça. Mais l’impensable est arrivé : il a craqué. Le gardien dont on avait vanté le calme toute l’année a paniqué. Le héros au mental en béton. L’avait-on assez répété toute la saison que ce jeune garçon avait un-mental-incroyable-pour-son-âge ? Que rien ne le dérangeait ?

On disait aussi qu’on n’avait jamais vu ça. Pourtant on venait juste de le voir. On venait de dire exactement la même chose de José Théodore avant qu’il se délite. J’entends encore les plus épais de 110 % s’extasier sur la force de caractère de Théodore quand tout, au contraire, nous disait sa fragilité.

Théodore et Price ont en commun d’être devenus, très jeunes, des héros très attendus, dans le plus difficile des emplois – gardien de but – et dans la plus difficile des villes – Montréal – où la victoire n’est pas seulement jolie mais thérapeutique. Plus que tout autre ville de hockey au Canada, Montréal a besoin de gagner. Bonjour la pression.

Revenons à nos petits princes qui, lorsque tout va bien, donnent une telle impression d’invincibilité qu’on ne les imagine pas craquer. L’impression que rien ne peut les atteindre... Facile d’être au-dessus de ses affaires quand tout va bien.

Le caractère, c’est presque le contraire, le contraire du succès et de la pensée magique. Le caractère se forge quand ça va mal. Quand on tombe et qu’on se relève.

Comment auraient-ils du caractère ? Ils l’auraient forgé où, leur mental ? Ils ont 20 ans et ont toujours eu du succès. Alors forcément, dès que ça craque un peu, ils paniquent. Plus ils avaient l’air au-dessus de leurs affaires, plus ils avaient l’air inatteignables, plus ils sont désemparés. Voyez Théodore, ça lui a pris deux ans à s’en remettre. Et juste comme on le pensait rétabli, paf, rechute, son coach l’a retiré trois fois sur quatre contre Detroit, la seule fois où il a complété le match, il s’est pris quatre buts pareil.

Carey Price se remettra-t-il de cette série ?

Dimanche j’entendais des invités de La zone l’assurer avec une belle confiance. Sauf que ce sont les mêmes qui juraient que jamais il ne craquerait.

Anyway, s’il s’en remet, il sera plus fort. S’il s’en remet, c’est sûr aussi, il aura désormais un doute, une petite peur. Et c’est bien pour ça qu’il sera plus fort.

Ce n’est pas pour lui donner un conseil, de toute façon ce n’est pas un conseil, c’est le rappel que Michel Larouche, le coach de Despatie, faisait à Despatie quand Despatie plus jeune en mettait un peu trop : tu sais bonhomme, Superman, c’est un cartoon.

T’es sûr ?
Léon comment déjà ?
Léon Foglia et j’ai 3 ans.
T’es pas sérieux ! Léon comment t’as dit ?
Léon Foglia.
Je ne me tannais pas. Je le lui ai fait répéter au moins 20 fois dans les quelques heures qu’a duré sa visite. Ce serait trop long à vous expliquer, mais j’étais sûr qu’il s’appelait, civilement, comme sa maman. Quand je lui ai demandé Léon comment ? je m’attendais à un Léon Côté, un Léon Leblanc, un Léon Dupuis, un Léon Boucher. Mais non : Léon Foglia.

Le fou rire m’a pogné.

Haut comme ça. Mignon comme tout. On était dans la cuisine, le comptoir nous séparait, je l’observais du coin de l’œil en faisant un café à son père. Ce serait un peu long à vous expliquer, mais c’était la première fois qu’on se voyait pour vrai, Léon et moi, et j’ai dit connement : je suis le papa de ton papa. L’enfant est resté muet, mais s’il avait dit quelque chose, c’eût été quelque chose comme : ah bon.

Pas énervé, voyez ?

Quand il a eu fini de manger ses nouilles, j’ai dit : viens Léon, on va aller voir la maison du coyote dans le bois. C’est une ancienne cabane à sucre au toit effondré, aucun coyote n’y a jamais mis les pieds, mais je dis ça chaque fois que j’emmène des enfants dans le bois, ça me fait quelque chose à leur raconter.

Quand on approche de la cabane, j’en fais le tour sur la pointe des pieds en leur faisant signe de se taire : chut. Mais chaque fois, je suis bien obligé de le constater : le coyote n’est pas là.

Où qu’il est ?

Il est parti à l’hôpital. Savez comment sont les enfants avec leurs millions de questions, pourquoi, comment, c’est qui, c’est quoi ? Ça finit généralement que le coyote a attrapé la scarlatine en mangeant un enfant qui avait la scarlatine aussi, ça lui apprendra à manger des enfants malades. Mais pas Léon. Léon n’a pas demandé pourquoi. Quand j’ai dit : y’é pas là. Léon a dit : ah bon, et là j’étais fourré pour lui raconter qu’il avait la scarlatine et cetera. Heureusement, Tonton est arrivé.

Tonton est le plus jeune de nos huit chats. Il aime nous suivre dans le bois, comme le ferait un chien. Il peut faire des kilomètres avec nous. Il s’est frotté contre Léon et ils sont devenus tout de suite copains. On a poursuivi notre promenade.

Des fois, Tonton faisait semblant de se perdre pour que Léon l’appelle – Tonton, Tonton – et pour arriver en courant, tout content, la queue en l’air. D’habitude, les chats ne trippent pas fort sur les enfants, ils les trouvent trop énervés. Mais je l’ai dit au début, Léon n’est pas du tout énervé. Léon comment déjà ?

Léon Foglia.

T’es sûr ? Je veux dire, mignon comme ça ?

BESTIAL BESTIAUX — Parlant des coyotes, fait un boutte qu’on ne les a pas vus ou entendus. Après tout, c’est peut-être vrai qu’ils ont la scarlatine. Ce qu’on voit beaucoup ces jours-ci, ce sont les dindes sauvages, il s’agit en fait d’un dindon et de sa dizaine de concubines. Lui fait la roue en plein milieu du champ, elles s’énervent tout autour, il en zigone une, hop là, et puis une autre, et puis une autre, et puis la première revient, on voit bien à ses plumes toutes ébouriffées près du croupion qu’elle est déjà passée, salope, lui caquètent les autres, ça fait deux fois.

Vous dire aussi que la maman écureuil du gros hêtre devant la fenêtre de mon bureau a déménagé ses trois nouveau-nés dans un des vieux érables sur le bord du chemin. On l’a vu faire. Descend du hêtre avec un bébé dans la gueule, va le porter dans l’érable, trois fois. Va savoir pourquoi.