Le samedi 17 mai 2008


Un handicap qui avantage?
Pierre Foglia, La Presse

Oscar Pistorius est né les pieds atrophiés et sans péronés dans les jambes. Ses parents (riches propriétaires d'une mine de zinc dans la région de Pretoria, la capitale sud-africaine) avaient le choix: le laisser comme ça et il aurait passé sa vie en fauteuil roulant, ou le faire amputer et le pourvoir de prothèses.

Amputé à la hauteur des chevilles avant d'avoir un an, le petit Oscar a appris à marcher avec ses prothèses. Il a grandi presque normalement, en jouant au tennis, au water-polo et surtout au rugby, le sport national des Sud-Africains.

C'est à cause d'une blessure reçue en jouant au rugby que Pistorius est passé à l'athlétisme, un sport qu'il détestait, se plaît-il à rappeler.

Il ne s'entraînait que depuis huit mois lorsqu'il s'est aligné au départ du 200 mètres aux Jeux paralympiques d'Athènes et a remporté la médaille d'or dans un temps canon (21,97). Un chrono que réussirait bien difficilement un athlète valide de 18 ans, avec seulement huit mois d'entraînement. Ajoutez que Pistorius connaît des départs extrêmement lents, ses prothèses ne devenant efficaces qu'après quelques foulées. Ajoutez encore qu'il ne va pas très vite dans les tournants.

21,97 malgré cela?

La question s'est posée d'emblée: les prothèses de Pistorius, ces deux spectaculaires lames de carbone, fixées à une sorte de genouillère, qui lui servent à la fois de pieds et de tibias, l'avantagent-elles indûment? Même si c'est bête à dire: Pistorius est-il avantagé par son handicap?

Celui qui a parti la chicane est un Américain, ex-grande star de l'athlétisme handisport, Marlon Shirley, qui déclarera tout net: ce que fait Pistorius est bien impressionnant, mais ce n'est plus du sport, c'est de la technologie.

Après Athènes, Pistorius est passé au 400 mètres, une distance qui lui permet de mieux amortir ses mauvais départs. Nouveau coup de canon en mars l'an dernier, aux championnats nationaux d'Afrique du Sud: 46,56 sur 400 mètres, chrono qui le range, de facto, tout près de l'élite mondiale valide. Juste pour vous donner une idée, ce 46,56 équivaut à la cinquième meilleure performance au Canada l'an dernier.

Voilà donc Pistorius chez les grands. On le verra encore terminer second de la finale B de la Golden League à Rome, puis s'aligner sur la même ligne que le champion du monde (Jeremy Wariner) à Sheffield.

Une belle histoire comme le public les aime, et contrairement à ce qu'on a dit, comme les aime aussi la Fédération internationale d'athlétisme, soyons clairs: pour l'athlétisme en perte de vitesse dans le monde, ce Pistorius est une bénédiction.

Reste que la Fédération n'avait pas le choix. Premier sport olympique, l'athlétisme a toujours incarné l'essence même du sport, la pureté, l'anti-cirque. Or il se trouvait de plus en plus de gens, et pas seulement des puristes, pour avancer que ce Pistorius était du cirque.

Pour se protéger le cul, la Fédé a voté en juillet dernier un règlement pas très subtil qui énonce que sont interdits les dispositifs techniques qui procurent un avantage sur tout athlète ne les utilisant pas... Pistorius l'a pris personnel comme on dit, je me demande bien pourquoi!

Nonobstant son nouveau règlement, la Fédération a laissé courir Pistorius avec les valides tout en chargeant un professeur de biomécanique allemand de lui faire rapport: le Sud-Africain, the fastest thing on no legs, comme il se surnomme lui-même, triche-t-il? Ces lames qu'il a baptisées Cheetah comme la guenon de Tarzan, faut-il l'écrire cheater, comme tricheur?

Oui, conclura le biomécanicien. Oui ces lames l'avantagent largement. Oui parce que l'élasticité de la prothèse. Oui parce qu'une moindre dépense énergétique pour les actionner. Oui parce que l'insensibilité à la fatigue des jambes. Oui parce que pas d'acide lactique. Oui parce qu'une foulée légèrement plus ample.

Mais, professeur, ses très mauvais départs ne compensent-ils pas pour tous ces avantages?

Non. Ses mauvais départs sont compensés par son second 200 mètres. Pistorius est actuellement le seul coureur de 400 qui court plus vite le second 200 mètres que le premier.

La Fédération a étudié le rapport plusieurs mois. La mort dans l'âme, elle a décidé de bannir le Sud-Africain. Pourquoi la mort dans l'âme? Je viens de vous le dire, parce que Pistorius est une formidable attraction.

Pistorius a fait appel auprès du Tribunal arbitral du sport, le TAS. Hier le TAS lui a donné raison en arguant que d'autres experts avaient établi qu'aucune preuve ne montrait à l'évidence que ses prothèses en carbone l'avantageaient.

Chicanes en vue? Aucune. La Fédération internationale est la première à se réjouir de cette décision qui la délivre du rapport du biomécanicien allemand, qui la désengage de toute responsabilité technique, et qui ramène l'attraction Pistorius dans son giron. Oscar est le bienvenu, s'est empressé de déclarer le président Lamine Diack, son courage inspire la jeunesse du monde entier. Ben tiens.

Pas de polémique non plus du côté des athlètes. On remarquera que les seuls à avoir babouné sur ses prothèses sont des athlètes handicapés, sans doute parce que Pistorius leur a fait de l'ombre. Ce ne sera pas le cas chez les valides. Avec son 46,56, Pistorius ne gagnera aucune finale de la Golden League, ne fera assurément pas la finale olympique, ni les demi-finales, en fait Pistorius ne courra probablement pas le 400 mètres à Pékin parce qu'il ne réussira probablement pas à se qualifier d'ici la date limite du 23 juillet, il faudrait qu'il réussisse au moins le standard B: 45,95, ce qui est assez loin de son 46,56.

Pistorius ira à Pékin comme remplaçant du relais 4x400 si l'Afrique du Sud se qualifie pour le 4x400, ce qui est presque assuré (les 16 meilleures nations).

Ce que je pense de tout cela? Qu'il s'en faut d'une toute petite seconde pour qu'on ait un vrai débat. Mettez Pistorius à 45,56 au lieu de 46,56 et on parlerait d'homme bionique. Une seconde de moins et des voix se seraient élevées pour dire que le sport n'a pas à être un champ d'expérimentation scientifique.

Je pense qu'il est évident depuis le tout début que ce garçon est nettement avantagé par ses prothèses. Dès Athènes où il s'est révélé, on aurait dû s'aviser qu'un athlète de 18 ans, pas de jambes, qui court le 200 mètres en 21,97 après seulement huit mois d'entraînement, c'est juste trop beau pour ne pas être hors normes. On aurait dû se pencher sur le cas immédiatement, et cela même si cela prend un certain courage pour dire à un athlète handicapé qu'il est avantagé par... son handicap. Et encore plus de courage pour affronter l'opinion publique après cela.

Je pense qu'un coureur de 200 qui court plus vite son second 100 mètres que le premier, c'est juste normal. Mais sur 400 c'est juste pas vrai. Sur 400 le second 200 est terriblement tuant, même le mythique et supersonique Michael Johnson ne le courait pas plus vite que le premier.

Je pense qu'un coureur sans jambes qui a un très mauvais départ et négocie mal ses virages (il y a deux virages dans un 400) ne peut pas compléter son tour de piste en 46,56 sans une aide mécanique très performante... mécaniquement.

Je pense que le TAS s'est dit: bof, laissons-le courir, cela ne portera pas à conséquence. À court terme c'est vrai. Pistorius ne dérange pas. Ne vole la place à personne. Comme il ne gagnera pas de médaille (qui est la mesure de toute chose en ce domaine), on ne se demandera pas si sa performance est "juste". On lui trouvera au contraire bien du mérite. Et gnagnagna, le discours paternaliste habituel dont on englue habituellement les athlètes handicapés.

Je pense que les experts auxquels le TAS s'est fié pour rendre sa décision, des experts surtout américains, venaient d'Hollywood.

Je pense surtout que le TAS se trouvera bien dépourvu quand surgiront d'autres athlètes avec des dispositifs plus perfectionnés que celui de Pistorius, des dispositifs qui vont très bientôt emprunter à la robotique.

Je pense que le TAS a oublié dans cette histoire de juger en regard du principe le plus fondamental du sport: l'équité de la compétition.

Des précédents

Plusieurs athlètes handicapés ont participé aux Jeux chez les «valides». C'est le cas, dernière en date, de l'Américaine Marla Runyan, à moitié aveugle, qui a couru le 1500 et le 5000 à Athènes et à Sydney.

En 1984 à Los Angeles, la Néo-Zélandaise Neroli Fairhall, paraplégique, a participé au tir à l'arc.

Le plus étonnant de tous les cas, en 1904 à Saint-Louis, l'Américain Georges Eyser, qui avait une jambe de bois, a remporté six médailles en gymnastique, dont trois d'or. Non, ce n'est pas une blague.

Pistorius et le 400 mètres

Meilleur temps de Pistorius: 46,56

Record du monde (Michael Johnson): 43,18

Record canadien (Tyler Christopher): 44,44

Standards olympiques pour se qualifier pour Pékin, à réaliser entre le 1er janvier 2007 et le 23 juillet 2008: Standard A: 45,55, standard B: 45,95.

Champion du monde actuel: l'Américain Jeremy Wariner, 43,45

Chances de Pistorius de courir en demi-finale ou en finale à Pékin: zéro

Chances de Pistorius de courir la finale du relais 4x400:2 sur 1000