Le mardi 27 mai 2008


Des Nègres et une Helvète
Pierre Foglia, La Presse

Si j'étais Noir ce ne serait pas assez, je serais Nègre.

Si j'étais Noir, ramassant l'insulte comme une pierre, je revendiquerais d'être Nègre.

Si j'étais Noir, j'exécrerais ces Blancs et ces Noirs qui ont décrété qu'il ne fallait pas dire Nègre. De quoi je me mêle?

Si j'étais Noir, ces Blancs qui se croient corrects en ne disant pas Nègre me feraient tellement chier que je leur hurlerais dans la face: je suis Nègre, je suis Nègre, je suis Nègre.

Si j'étais Noir, j'attendrais des Blancs qu'ils me respectent comme Nègre. Pas qu'ils taisent le mot Nègre.

Si j'étais Noir, je croiserais Victor-Lévy Beaulieu dans la rue, il me lancerait, hé! le Nègre, et je lui répondrais, hé! Victor.

Mais s'il me traitait de roi-nègre...

Dans l'administration coloniale -surtout anglo-saxonne- le roi-nègre était la marionnette indigène que l'occupant choisissait pour gouverner à sa place. C'est ainsi que roi-nègre est passé dans le langage courant pour désigner le rang le plus élevé que peut atteindre un ou une colonisée quelle que soit sa couleur. Pour donner un exemple local, Maurice Duplessis aura été un des grands rois-nègres du Québec et peut-être de l'humanité.

Est-ce que la gouverneur général Mme Michaëlle Jean est une reine-nègre? Il se trouve, ici, que la reine-nègre est aussi de couleur nègre, hasard souligné malicieusement par VLB. Et tout le monde de se scandaliser: hon! il l'a traitée de Nègre.

Il m'étonnerait que Mme Michaëlle Jean s'offusque de cela. Il me revient une chronique dans laquelle je défendais le film québécois Le Nèg', attaqué pour son titre par l'habituelle bande de curés du langage; il me revient, disais-je, que Mme Michaëlle Jean, hospitalisée à l'époque, avait pris la peine de m'envoyer un long courriel pour me dire combien elle, la nèg, revendiquait cette négritude-là.

Reine-nègre? Reine marionnette? Reine colonisée mise sur son trône pour mieux fourrer les colonisés? Vous m'excuserez de ne pas entrer dans cette chicane-là. Je n'ai aucune idée de ce que Mme la gouverneur général a bien pu dire en France qui a tant choqué les souverainistes et même les gens qui ne le sont pas. À ma grande surprise, même ma fiancée qui se contrecrisse habituellement de ces choses-là était courroucée. Pas moi.

Je n'écoute jamais quand Mme la gouverneur général parle, que ce soit à M. Sarkozy ou au pape. Je ne lis jamais rien qui la concerne. À la télé, je la zappe. Sans y mettre aucune hargne d'ailleurs, un peu comme je zappe les documentaires sur la culture du radis noir dans les anciennes tourbières.

Franchement, pourquoi devrais-je m'intéresser à une gouverneur général? Pourquoi pas au Grand Mameluk un coup parti?

LE LAC LÉMAN -- J'ai monté la Joy Hill pour la première fois de la saison samedi. Elle est sur ma route pour aller faire Jay. Jay, une montée de 12 km: un charme. La Joy Hill, 1 km: l'Everest! La salope. Quand je vais mourir je suis sûr que ce sera moins dur que la Joy Hill. C'est pour ça que je la monte. Pour m'entraîner à mourir. L'année prochaine, je l'essaie sur la morphine.

Une dame m'écrit de Deux-Montagnes. Une vieille dame qui m'écrit de temps en temps, d'origine vaudoise, elle me parle de vélo, de routes que je connais pour les avoir pédalées dans une autre vie...

On partait d'Yverdon (à l'extrémité sud du lac de Neuchâtel), à travers une campagne un peu monotone qui sentait bon le purin. On se laissait glisser jusqu'au lac Léman. Les Genevois pensent que c'est à eux parce qu'il s'appelle parfois le lac de Genève, mais pas du tout, ce lac-là est à nous, Vaudois. On en faisait le tour en propriétaires. On couchait à la belle étoile près de Thonon. Le dimanche, on remontait par Montreux, Vevey, Lausanne à nouveau. Les copains s'appelaient Oscar, Pierrot, Jean-Jean. J'avais 17 ans, j'étais mignonne avec un petit côté garçon manqué. Le lundi matin on était de retour à l'usine. Après il y a eu la guerre... Aujourd'hui je vais sur mes 87 ans, Gisèle Z.

Pis vous, les boys, roulez-vous un peu? Je vous croise souvent sur mes routes. J'aime bien quand vous me saluez d'un joyeux: bonjour monsieur Foglia. J'aime bien «monsieur».

RIRES -- Un film américain à sketches: The Ten (Les Dix Commandements). Loué par hasard. Première scène de l'un des sketches: une femme blanche accouche de jumeaux noirs. Le papa, blanc, est tout ému: ah! mes fils, mes amours, je jure de vous aimer jusqu'à ma mort. Deuxième scène: le père dans son cercueil. Les jumeaux noirs, qui ont dans la vingtaine, sont dans la cuisine avec leur mère: allez maman, dis-nous la vérité.

Quelle vérité?

T'es blanche, papa était Blanc, c'est qui notre père...

Le mère se dandine: ben... quand j'étais jeune, je couraillais pas mal, j'ai couchaillé avec Sidney Poitier, Denzel Washington, Eddie Murphy.

Envoye maman, spell it out...

A-R-N-O-L-D...

Hein! Schwarzenegger! Notre papa! Youpi.

La maman rougit, ben oui. D'ailleurs il est ici. Je voulais vous faire la surprise. Il attend dans la pièce à côté. Elle l'appelle. Viens-t'en Arnold. Un type entre, gêné. Un petit gros.

Les enfants: mais maman c'est pas Arnold Schwarzenegger.

La maman: je sais bien, mais vous savez le vrai est très occupé. J'ai loué un sosie. On peut louer des sosies d'Arnold.

Rendu là, je pleure tellement je ris. Ma fiancée qui faisait autre chose arrive. Pourquoi tu ris? Je lui repasse le sketch et je repleure tellement je reris.

Elle, rien.

Juste pour vous dire de ne pas louer ce film-là. Louez plutôt Walk Hard, la parodie de Walk the Line. Ma fiancée a beaucoup ri.