Le samedi 31 mai 2008


Le vieux
Pierre Foglia, La Presse

Devant m’arrêter pour pisser – à vélo, les vieux arrêtent souvent pour pisser –, j’ai dit à la dame qui m’accompagnait: Attendez-moi au village. Quand je suis arrivé au village, elle avait sorti son appareil photo et clic.

J’avais complètement oublié ce clic-là quand je reçus la photo quatre jours plus tard par courriel. Comment vous décrire la chose? L’allure générale est d’un crapaud sur un vélo, et je n’essaie pas de faire l’avantageux à l’envers en me faisant plus vieux et plus laid; j’essaie de vous expliquer que les vieux évitent généralement les miroirs et qu’à force de ne plus voir leur délabrement, ils l’oublient.

On rencontre des vieux qui ne se sentent pas vieux; ce n’est pas parce qu’ils sont restés jeunes, c’est parce qu’ils ont toujours été vieux. Alors forcément, ils ne font pas la différence avec avant. Ils ne sont pas si nombreux. Les supplices de l’âge sont si diversifiés que la plupart des vieux se sentent vieux dans leurs os et dans leur tête. Demandez-moi comment je vais.

Je vais comme un vieux.

Par contre, presque tous les vieux, et j’entre bien là-dedans, ne se voient pas comme étant vieux. Si vous demandez à des vieux de se dessiner, neuf sur 10 se représenteront sans âge.

Je ne me suis d’abord pas reconnu sur la photo. C’est qui, ce con? Ah tiens! il a le même maillot que moi. Franchement il ne devrait pas porter ce genre de truc qui le boudine.

Ah tiens! mais c’est mon vélo! Fuck! c’est moi! Fiancée, viens vite.

Elle a monté les escaliers en panique (les fiancées accourent toujours en panique quand leur vieux les appelle, parce qu’elles croient à un accident cardiovasculaire).

Quoi?

Regarde! C’est vraiment de ça que j’ai l’air?

Ben oui.

Et tu m’aimes pareil?

LE VIEUX ET LES MOTS – J’assistais l’autre jour à une compétition sportive. Devant prendre congé, j’avise une jeune athlète. Mademoiselle ? Vous m’excuserez auprès de votre coach, et saluez-le bien de ma part. Ce que fit la demoiselle en disant à son coach, qui me l’a rapporté: Tu sais, le vieux monsieur...

Le vieux monsieur, j’adore. Mais vieux tout court ne me défriserait pas. Vieux con si vous ne m’aimez pas. Vieux machin. Vieux schnock. Fossile. Croulant. L’ancêtre. Comment disait-on, déjà, quand j’étais petit? Ah oui! le vioque. Ne vous gênez surtout pas. Certains de mes amis me donnent du pépé; c’est un peu limite, mais ça passe aussi.

Bref n’importe quoi, sauf: un aîné. Pas ca-pa-beu. D’ailleurs je ne suis pas un néné. Je n’ai rien d’un foutu néné. Les aînés sont grégaires, louent des autobus à Pâques pour aller à New York, jouent au volleyball le mercredi soir, prennent parfois des cours de danse sociale, ont leurs sites internet. Un néné n’est pas vraiment une personne, c’est plus une fonction sociale intergénérationnelle; l’interaction intergénérationnelle est une forme de pédophilie socioculturelle qu’on enseigne à l’université. Wouache.

LE VIEUX ET LA FORME – On me trouve bien en forme pour mon âge. Je ne le suis pourtant pas. Quinze livres de trop, pas de cardio, de moins en moins de force. Un vieux truck diesel.

Mais oui, je peux pédaler 100 kilomètres dans la journée; 150 si vous voulez. Et je grimpe des presque montagnes. C’est vrai qu’on n’est pas si nombreux dans ma gang. C’est que je viens d’une génération qui n’envisageait pas le loisir sous une forme disons aussi dynamique. C’est la génération après la mienne, les boomers, et la suivante, qui ont commencé à pousser réellement la machine, à rouler très fort, à courir le marathon autour de trois heures; des vieux de mon âge qui roulent, qui courent, qui nagent pas mal plus fort que moi, vous allez en voir de plus en plus.

Cela n’a rien à voir avec la santé. Je viens de vous le dire: cela a à voir avec pousser la machine à fond. Courant qui s’exprime dans de plus en plus de randonnées à ski de fond, de cyclo-sportives, de triathlons, de raids de vélo de montagne et canot, auxquels participent de plus en plus de vieux. Trois heures et demie au marathon à 70 ans? Ce n’est presque plus une curiosité.

LE VIEUX ET LES AUTRES VIEUX – Jeune, je n’aimais pas les vieux. Surtout les vieilles. Je leur trouvais des airs de poules, caquetant sans cesse, effarouchées de tout, et d’une absolue insignifiance. J’ai déjà écrit: certes je serai vieux un jour mais Dieu merci, je ne serai jamais vieille.

Quelque 40 ans plus tard, il se trouve que les plus beaux vieux que je connaisse sont des vieilles. Ainsi, la dame suissesse qui m’a écrit cette semaine ; ainsi Mme Kayler, cette adorable vieille chose culinaire; ainsi, aussi, la maman de ma fiancée. On parlait de forme tantôt. J’échangerais n’importe quand mon apparence de forme contre la sérénité de ma belle-maman. Son rire, tiens, son rire quand elle déconne avec sa fille, ma fiancée. Pas que je ne rie pas. Mais si léger? Si heureux? Pas souvent.

Finalement, je ne détesterais pas finir en vieille. Savez-vous s’il y a un âge limite pour les changements de sexe?

LE VIEUX ET LES JEUNES – J’ai un problème avec les jeunes. Insoluble, je crois. Ce qu’on me rapporte d’eux (leurs profs surtout), leur déculturation, leur paresse, cette inaptitude à l’effort qui me rebute plus que tout et ne me donne aucune envie de les côtoyer.

Ça, c’est la partie théorique.

Dans la pratique, chaque fois que je rencontre un ou une jeune adulte, que ce soit ces cégépiens qui me demandent des entrevues, que ce soit ceux avec lesquels je travaille à La Presse, que ce soit les filles ou les fils de mes amis, chaque fois, je les trouve pas mal plus allumés que je pouvais l’être à leur âge.

Alors? Alors je vais continuer de les ignorer, ces petits cons.

LE VIEUX ET LA MORT – Il y a un truc à propos de la mort que je veux dire aux gens qui me lisent depuis longtemps et qui croient que j’en ai une telle appréhension que j’en deviens parfois idiot de peur: j’exagère, vous savez. J’ai peur oui, mais bon. De temps en temps me vient une envie de repos, une envie de m’effacer; par exemple quand je regarde cette photo dont je parlais tantôt.

Mon obsession de la mort vient aussi du fait que je suis ce genre de type qui fait toujours les choses en commençant par la plus difficile. Ma mère disait souvent: faut manger son pain noir d’abord. C’est quoi la chose la plus difficile dans la vie? Mourir. Sauf que tu ne peux pas commencer par celle-là. Toute ma vie, j’ai bouffé mon pain blanc en me disant que je ne le méritais pas.

Y a-t-il un psy dans la salle?