Le samedi 14 juin 2008


Le cul occulte
Pierre Foglia, La Presse

Souvent, je n’ai pas d’opinion. D’autres fois, pour compenser sans doute, j’en ai deux. Antinomiques en plus. Je pense blanc et noir au même instant. Pour le même sujet.

Tenez, la chronique de ma collègue Rima Elkouri, mardi, sur l’hypersexualisation des jeunes filles. J’étais d’accord sur tout. Ces gamines en string et talons aiguilles, franchement ! Sauf que la chronique de Rima était illustrée de la photo de deux jeunes filles qui marchent dans la rue.

On nous les montre de dos, la jupette que porte celle de gauche est complètement diaphane, on voit son cul comme si elle se promenait cul nu, excepté pour un bout chiffon qui bouchonne dans le haut de la craque.

Je mets au défi ces dames du Conseil du statut de la femme de prétendre le contraire: un cul absolument magnifique. Voyez, je suis d’accord avec le discours de Rima et je suis d’accord avec l’image qui le contredit. Je suis quand même un type assez complexe, trouvez pas ?

Sur ce même sujet, le lendemain matin, à Homier-Roy, une sexologue relevait que ces enfants hypersexuées obéissent avec la même navrante conformité aux diktats du marketing et à leur petits chums qui leur commandent des trucs sexuels pas vraiment orthodoxes.

Je comprenais qu’elle était en train de nous dire que le problème n’est pas le cul, mais la conformité, et yesss, j’acquiesçais de toute mon âme quand la dame, pour illustrer son propos, nous dit qu’elle revient à l’instant de Paris, où, ces jours-ci, sur les murs du métro, on voit une jeune femme à la culotte si ajustée que, je cite la sexologue, on voit ses grandes lèvres.

Je ne vous suis plus, madame. Qu’on ait déshabillé la fille pour vendre je ne sais quoi, bon. Mais qu’a donc le relief de ses grandes lèvres de plus indécent que la bosse si clairement dessinée que nous montrent tout l’été les hommes en maillot ou en cuissards?

Tiens, pour votre plaisir, vous regarderez les gymnastes dans leur long pantalon blanc, cet été, aux Jeux, par exemple dans la figure nommée «la croix de fer», aux anneaux. Vous verrez, il n’y a pas que la croix qui est en fer.

Pour revenir au fond de la question, il est quand même assez extraordinaire de considérer l’échec du mouvement féministe (et de la société en général) dans la lutte contre les stéréotypes sexuels par rapport aux progrès incroyables que ce même mouvement a fait faire aux femmes depuis... disons depuis la Ligue du droit des femmes de Thérèse Casgrain en 1929: droit de vote (au Québec), 1940; première sénatrice, 1953; droit de devenir juré, 1971; première clinique d’avortement créé par le Centre des femmes, 1972; droit de garder son nom de jeune fille dans le mariage et de le donner à ses enfants, 1981; première ministre des Finances, 1993; et dernière avancée, sans doute la plus importante: la loi sur l’équité salariale, 1996...

Mais dans la lutte contre les stéréotypes sexuels, rien, zéro. Le corps des femmes est utilisé plus que jamais pour vendre des chars, pour vendre n’importe quoi. Bien plus, on a inventé ces derniers temps un second degré pour mieux les fourrer: hé, les filles, c’est une joke, on fait semblant de se servir de votre corps comme dans les annonces d’autrefois, mais c’est juste un clin d’œil. La vérité, c’est que votre cul mène le monde. Girl power, les filles, girl power. Yé, on a gagné.

Ben tiens.

Il y a trois ou quatre semaines, avant que le Conseil du statut de la femme réactualise le sujet, je suis entré à Montréal par l’autoroute Bonaventure et j’ai aperçu ce panneau publicitaire qui m’a tellement frappé que j’en ai parlé en arrivant au bureau. À qui, donc? Ah oui: à Stéphanie, la petite boss des sports.

Regarde, Steph, le panneau, immense, montre une jeune femme en maillot de bain, son portable à la main. Ça se veut un clin d’œil à 1965, sauf que la fille est déshabillée comme en 2008. Le pétard total. Le message est clair: rien n’a bougé depuis 1965. Le sous-texte encore plus limpide: mangez donc d’la marde, les féministes.

Ajoute à ça que cette jeune fille, la bouche entrouverte, ne donne pas du tout l’impression qu’elle va téléphoner mais qu’elle va le sucer, son putain de portable. Non, non, je ne suis pas tordu. Le tordu, c’est le type dans le bureau de pub qui a dit à la fille lors de la séance photo: tiens le portable comme tu tiendrais un pénis, entrouvre légèrement les lèvres juste au-dessus de la petite antenne.

Comme ça, quand Foglia va passer sur Bonaventure, il va penser fellation, et il se rappellera pour toujours le nom du portable.

Eh bien, il s’est gouré, ce con. J’ai effectivement pensé fellation, mais je ne me souviens pas du tout de la marque du portable.

Steph, toi qui es une jeune femme moderne et tout, je te pose la question: si rien n’a changé depuis un demi-siècle, si en 2008, on montre encore des pitounes pour vendre des chars et des portables malgré tout ce qui a été dit, écrit, analysé, ça doit être parce que les gens veulent voir des pitounes. Pourquoi ne pas leur en donner, une bonne fois pour toutes? Et tant qu’à suggérer des fellations et des éjaculations subliminales depuis plus de 40 ans dans la pub, pourquoi ne pas en montrer vraiment?

Si en arrivant à Montréal par l’autoroute Bonaventure une série de panneaux montraient des filles dans toutes sortes de tenues et de positions occupées à fellare non pas leur cellulaire mais la vraie affaire, c’est sûr, au début, j’irais à Montréal plus souvent, mais ça ne me prendrait pas 50 ans pour me tanner. Un mois ou deux, pis je ne les verrais même plus.

À côté de ça, si des gens veulent annoncer des cellulaires, ils n’auraient qu’à montrer, je ne sais pas, moi, un Arabe dans le désert, sur son chameau, en train de téléphoner.

Personne ne penserait que l’Arabe veut sucer son chameau. On penserait que ce doit être un sacré bon cellulaire puisqu’il marche dans le désert. Les gens en achèteraient plein. Les petites filles s’habilleraient normalement pour aller à l’école, et moi, ben moi, pour me remercier, vous pourriez me nommer président de la chambre de commerce du Montréal métropolitain, mon rêve depuis si longtemps.

Pour finir sur une image d’été, je me souviens d’un cul au Tour de France, placardé cette année-là dans tous les villages, dans toute la France, un cul fendu d’un string rouge, bien rond, bien plein, estival et ludique, qui donnait envie de jouer au ballon plus qu’autre chose. Mais surtout, ce que je voulais souligner, c’est que je n’ai jamais su ce qu’il annonçait. Voilà, je voulais le placer pour au moins justifier mon titre: le cul occulte.