Le lundi 4 juillet 2011


Des patates et du pain
Pierre Foglia, La Presse, Tour de France

(Les Herbiers, Vendée) Et ça, mademoiselle, c'est quoi?

C'était l'autre midi au buffet de presse offert par le bureau de tourisme vendéen dans la petite ville des Herbiers. Alors ça, me dit la demoiselle, alors ça, c'est une petite brochette de caille, au foie gras poêlé, sur le dessus vous avez cette trace de framboise écrasée, le tout est enveloppé dans une feuille de figuier et arrosé d'un caramel de vinaigre de raisinaïe...

Pardon?

Raisinaïe, c'est un vin à dessert local...

Pour que vous vous représentiez bien la chose, je parle ici d'un amuse-gueule, une bouchée enfilée sur un bâton, comme les mini-saucisses que l'on sert au cocktail du congrès des denturologues de la Haute-Mauricie, sauf que ce n'est pas une mini-saucisse, c'est... c'est quoi déjà, mademoiselle?

Alors, nous disions, une petite brochette de caille, au foie gras poêlé, sur le dessus vous avez ce soupçon de framboise, le tout est enveloppé dans une feuille de figuier et imbibé d'un caramel de vinaigre de raisinaïe...

Je me suis mis ce truc en bouche en fermant les yeux comme un bigot qui reçoit l'hostie, deux secondes après, proche de m'étouffer, je sacrais: fuck y'a un os!

Ah mais monsieur dans les cailles y'a des os!

C'est le seul avantage des mini-saucisses des denturologues sur les les cailles vendéennes: y'a pas d'os dans les saucisses.

À ce buffet il y avait aussi des huîtres de Noirmoutier, des barquettes tartinées de beurre de langoustine, et des mogettes qui sont tout simplement des haricots blancs, mais d'une incroyable délicatesse par rapport à nos bines, par exemple, remarques les mogettes font tout autant flatuler que nos bines, mais en plus raffiné, disons des pets en forme de soupirs.

À ce buffet encore il y avait Jacques Sennechael, le rédacteur en chef de Vélo-Mag, le magazine des cyclistes québécois, Vendéen d'origine, Jacques est né ici même aux Herbiers. À ce buffet toujours, il y avait aussi Jean Soulard. Oui oui, lui-même. Le grand chef des cuisines du Château Frontenac. Il vient d'un petit village, assez quelconque d'ailleurs, La Gaubretière, tout près des Herbiers. Il est né là. Sa mère y vit toujours.

La pauvre femme.

Voilà une femme dont le fils est un très grand cuisinier. Allez sur l'internet, vous trouverez mille reportages qui célèbrent Jean Soulard, qui vantent sa créativité, son raffinement dans la simplicité, sa cuisine fraîcheur. Le voilà qui débarque pour une courte vacance chez sa mère. La pauvre femme, c'est normal, s'attend à ce que son fils, un des grands cuisiniers de ce monde, lui fasse je ne sais pas moi... comment elle disait ça la fille tout à l'heure? ... une petite brochette de caille, au foie gras poêlé, arrosé d'un caramel de vinaigre, le tout enveloppé dans une feuille de figuier...

Pas du tout! Vous savez ce qu'il lui a fait pour souper, à sa mère, l'autre soir?

Des patates!

Il est allé arracher des patates dans le jardin, les a fait cuire sans même les éplucher, je vous jure que c'est vrai, et ils les ont mangées comme ça, avec un peu de beurre...

Et du pain, précise-t-il.

T'es sérieux? Du pain? Toi, Jean Soulard, tu manges tes patates avec du pain?

Toujours.

T'as écrit combien de livres sur la cuisine, déjà?

L'ENTERREMENT - Je n'imaginais pas d'aussi agréables routes à vélo à 20 kilomètres de Nantes. Un foisonnement de petits chemins et de plus petits encore, on en prend un qui nous mène à La Haie-Trois-Sous, un autre qui nous ramène à Sainte-Lumine-de-Clisson, où je suis arrivé derrière un enterrement. Les gens allaient à pied derrière le corbillard, je marchais à côté de mon vélo en pensant à un drôle de truc qui me faisait sourire... on ne sait rien des morts finalement, peut-être qu'aussitôt morts ils reviennent sous forme d'esprit, peut-être que celui-là suivait son propre enterrement et qu'il se demandait: c'est qui le type à vélo? Et pourquoi il rit, ce con?

LA TOTALE - En trichant un peu, on peut dire que Ryder Hesjedal a gagné la deuxième étape du Tour de France, hier aux Essarts. Une première victoire canadienne dans un Tour de France depuis 23 ans. En trichant un peu, parce que c'était un contre-la-montre par équipe, et bon, au classement officiel ce ne sont pas des individus qui apparaissent, ce sont des équipes. Et c'est l'équipe Garmin-Cervélo, dont Ryder est un des leaders, qui a gagné l'étape.

Enfin une victoire des Garmin au Tour de France, et pour une première, la totale, la victoire d'étape et le maillot jaune à Thor Hushovd, par une petite seconde de rien du tout.

Voyez, je ne disais pas tant de folies l'autre jour. Je disais que les Garmin gagneraient ce contre-la-montre, ce qui est arrivé. Je disais aussi que Ryder Hesjedal pourrait prendre le maillot jaune et ça non, ça n'arrivera pas. Pas au cours des prochains jours en tout cas. Ryder est tombé samedi, comme Contador, il s'est pris deux minutes... C'est son coéquipier, le champion du monde Thor Hushovd, qui est en jaune.

Les Garmin sont arrivés avant tout le monde en Vendée pour pratiquer leur relais sur le circuit des Essarts, pour lisser leur homogénéité, en fait, ils se préparent depuis des mois, ils le voulaient absolument ce contre-la-montre par équipe et ils l'ont eu par 4 petites secondes sur les Sky de Bradley Wiggins, les BMC de Cadel Evans et les Leopard des Schleck.

TAIS-TOI DONC! - Il faut absolument revenir sur la première étape, celle de samedi qui a peut-être décidé du Tour. Du moins décidé que Contador ne le gagnerait pas. Quel départ en fanfare! Quelle arrivée surtout! On a rarement vu un coureur contrôler, dominer les deux derniers kilomètres d'une étape comme Philippe Gilbert l'a fait sur le mont des Alouettes. Du grand vélo.

Mais il faut revenir surtout sur la madame au t-shirt jaune qui, à neuf kilomètres de l'arrivée, à l'entrée de la rocade qui mène aux Herbiers, s'avance trop au bord du trottoir, frappe de l'épaule le coureur Maxim Iglinsky, qui tombe et en tombant fait tomber la moitié du peloton. Dont Contador. Qui a perdu une minute et demie sur Schleck.

C'est la course, ont philosophé plusieurs, sur le ton de «c'est la vie».

Pas du tout, moralisait Andy Schleck à l'arrivée, c'est pas ça la course, la course quand tu es un des favoris c'est de rouler en avant dans les fins d'étape nerveuses comme celle-ci, pour éviter les chutes justement.

Sauf qu'il y a 198 coureurs dans le peloton, ils ne peuvent pas tous être en tête.

Sauf qu'Andy Schleck aussi est tombé quelques kilomètres plus loin, avec Wiggins, Leipheimer, Basso, il a même fini derrière Contador, mais comme leur chute est survenue à moins de trois kilomètres de l'arrivée, ils ont été reclassés comme le prévoit le règlement.

Dans les circonstances, je trouve que le petit Schleck, petit dans le sens d'étroit, aurait pu fermer sa gueule.

Notons que, outre Contador et Samuel Sanchez (4e l'an dernier), cette chute a fait deux autres grandes victimes, les deux leaders de la Garmin: Ryder Hesjedal et Christian Vandevelde. Ryder a refait une partie de son retard hier, pas Vandevelde.

Aujourd'hui Olonne-sur-Mer-Redon, 200 km, tout plat, c'est Cavendish qui gagne, Hushovd garde son maillot jaune et moi je ne sais pas, mais je n'ai vraiment pas envie d'aller voir le peloton se faire planter par Cavendish.